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440 LETTRES SUR LA VERTU

dans la solitude, la vanité qui cherche tous les yeux, la bonté qui voudrait que tout fût content ; tout ce qui nous intéresse tient à des objets étrangers, tous nos vœux s’en- volent toujours, le bonheur qu’on nous attribue est le seul dont nous jouissons, et nous aimerions autant ne pas être que n’être pas regardés. En un mot, soit besoin d’aimer, soit désir de plaire, soit amitié, confiance ou orgueil, l’ha- bitude de commercer avec les autres nous rend. ce com- merce tellement nécessaire, qu’on peut douter s il se trouverait un seul homme qui, sûr de voir d’ailleurs tous scjs souhaits prévenus, fût sûr en même temps de ne re- voir jamais son semblable sans tomber dans le désespoir. Tels sont les liens indissolubles qui nous unissent tous, et font dépendre notre existence, notre conservation, nos lumières, notre fortune, notre bonheur et généralement tofis nos biens et nos mslux, des relations sociales. Je crois dpnc qu’en devenant homme civil j’ai contracté une dette immense avec le genre humain, que ma vie et toutes ses commodités que je tiens de lui doivent être consacrées à son service ; je vois de plus que si je puis me procurer une sorte de bien-être exclusif et quelques plaisirs douteux en sacrifiant tout à moi seul, je ne pourrais m’ assurer un état de paix et une félicité durable que dans une société bien ordonnée ; je vois que si je ne respecte pas en autrui les droits que je veux qu’on respecte en moi, je me rends le commun ennemi de tous et n’ai d’autre sécurité, dans l’inique possession de mes biens, que celle des brigands qui dévorent dans leurs cavernes les dépouilles des infor- tunés. Ce devoir sacré que la raison m’oblige à reconnaî- tre n’est point proprement un devoir de particulier à par- ticulier, mais il est général et commun comme le droit qui