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ET LE BONHEUR

mes indinationa naturelles, j’ose penser qu’elles sont droites, je crois trouver dans mes désirs l’image de l’homme de bien, et ne puis mieux vous dire ce qu’il est qu’en vous disant ce que je voudrais être.

Je voudrais donc avoir une âme forte pour faire toujours ce qui est juste, et sensible pour aimer toujours ce qui est beau : mais qu’est-ce que beauté, sensibilité, justice ? et qu’est-ce qu’une âme forte ? Voilà ce que la plus sublime philosophie a bien de la peine à nous expliquer, et qu’elle explique bien moins pour ceux qui cherchent la vérité que pour ceux qui cherchent la science. Contentons-nous donc d’écouter la nature ; car si la nature bien consultée ne nous instruit pas toujours, au moins elle ne nous égare jamais.

Il me semble premièrement que tout ce qu’il y a de moral en moi-même a toujours ses relations hors de moi ; que je n’aurais ni vice ni vertu si j’avais toujours vécu seul, et que je serais bon seulement de cette bonté absolue qui fait qu’une chose est ce qu’elle doit être par sa nature. Je sens aussi que j’ai maintenant perdu cette bonté naturelle, par l’effet d’une multitude de rapports artificiels, qui sont l’ouvrage de la société et qui m’ont pu donner d’autres penchants, d’autres besoins, d’autres désirs, d’autres moyens de les satisfaire, nuisibles à la conservation de ma vie ou à la constitution de ma personne, mais conformes aux vues particulières que je me suis faites et aux passions factices que je me suis données.

Il suit de là, qu’il faut me considérer à présent comme existant d’une autre manière et m’approprier, pour ainsi dire, une autre sorte de bonté convenable à cette nouvelle existence. Aujourd’hui que ma vie, ma sûreté, ma liberté,