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VIII INTRODUCTION GÉNÉRALE.

ministre genevois1. La plus remarquable peut-être de toutes ses lettres fut provoquée par Moultou d’une manière qui mérite d’être rapportée ici : un jour, on attaquait devant lui les croyances religieuses de l’au- teur d’Emile, dont les sophismcs, disait-on, ne tendaient qu’à arracher la foi des âmes; Moultou, pour prouver le contraire, écrivit à son ami une lettre où il feignait d’être ébranlé dans ses convictions religieuses, sûr d’a- vance que, par sa réponse, Jean-Jacques donnerait un éclatant démenti aux accusations dont il était l’objet. Rousseau lui répondit en effet, à la date du 14 fé- vrier 1769, par cette lettre admirable qui renferme la plus belle démonstration de l’existence de Dieu et de la vie à venir, et dont la phrase suivante eût suffi pour confondre ses accusateurs : " Eh quoi, mon Dieu! le juste infortuné en proie à tous les maux de cette vie, sans même en excepter l’opprobre et le déshonneur, n’aurait nul dédommagement à attendre après elle, et mourrait en bête après avoir vécu en dieu ? Non, non, Moultou ; ce Jésus, que ce siècle a méconnu parce qu’il est indigne de le connaître, Jésus, qui mourut pour avoir voulu faire un peuple illustre et vertueux de ses compatriotes, Jésus ne mourut point tout entier sur la croix, et moi, qui ne suis qu’un chétif homme plein de faiblesse, c’en est assez pour qu’en sentant


1 Une autre preuve de ce ’que j’avance ici est l’existence, dans les ma- nuscrits de Neuchâtel, d’an extrait fait par Jean-Jacques de l’un des plus beaux sermons qu’ait composés M. Moultou, et qui avait, à ce qu’il parait, beaucoup ’rappé le philosophe. Ce qu’il y a de curieux, c’est que ce sermon, (fo n il ne restait ailleurs aucun vestige, ait été conservé ainsi.