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peuple nouveau ne fut vain, car la vanité, par sa nature, est individuelle et ne peut être l’instrument d’une aussi grande chose que de former un corps de nation.

Deux états contraires jettent les hommes dans l’engourdissement de la paresse : l’un est cette paix de l'âme qui fait qu’on est content de ce qu’on possède ; l’autre est une convoitise insatiable qui fait sentir l’impossibilité de la contenter. Celui qui vit sans désirs et celui qui sait ne pouvoir obtenir ce qu’il désire restent également dans l’inaction. Il faut pour agir qu’on aspire à quelque chose et qu’on puisse espérer d’y parvenir. Tout gouvernement qui veut jeter de l’activité parmi le peuple doit avoir soin de mettre à sa portée des objets capables de le tenter. Faites que le travail offre aux citoyens de grands avantages, non-seulement selon votre estimation mais selon la leur, infailliblement vous les rendrez laborieux. Entre les avantages les plus attrayants ne sont pas toujours les richesses, mais elles peuvent l’être moins qu’aucun autre, tant qu’elles ne servent pas de moyen pour parvenir à ceux dont on est tenté.

La voie la plus générale et la plus sûre qu’on puisse avoir pour satisfaire ses désirs quels qu’ils puissent être, est la puissance. Ainsi, quelque passion à laquelle un peuple ou un homme soient enclins, s’ils en ont de viles ils aspireront vilement à la puissance, soit comme fin s’ils sont orgueilleux ou vains, soit comme moyen s’ils sont vindicatifs ou voluptueux.

C’est donc dans l’économie bien entendue de la puissance civile que consiste le grand art du gouvernement, non seulement pour se maintenir lui-même, mais pour ré-