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espèces. Je regarde les finances comme la graisse du corps politique qui, s’engageant dans certains réseaux musculaires, surcharge le corps d’un embonpoint inutile et le rend plutôt lourd, que fort. Je veux nourrir l’État d’un aliment plus salutaire qui, par lui-même, aura sa subsistance, qui pourra se changer en fibres, en muscles, sans engorger les vaisseaux, qui donne de la vigueur et non de la grosseur aux membres, et qui renforce le corps sans l’appesantir.

Loin de vouloir que l’État soit pauvre, je voudrais, au contraire, qu’il eût tout, et que chacun n’eût sa part aux biens communs qu’en proportion de ses services. L’acquisition de tous les biens des Égyptiens, faite au roi par Joseph, eût été bonne s’il n’eût fait trop ou trop peu. Mais, sans entrer dans les spéculations qui m’éloignent de mon objet, il suffit de faire entendre ici ma pensée, qui n’est pas de détruire absolument la propriété particulière, parce que cela est impossible, mais à la renfermer dans les plus étroites bornes, de lui donner une mesure, une règle, un frein qui la contienne, la dirige, qui la subjugue et la tienne toujours subordonnée au bien public. Je veux, en un mot, que la propriété de l’État soit aussi grande, aussi forte, et celle des citoyens aussi petite, aussi faible qu’il est possible. Voilà pourquoi j’évite de la mettre en choses dont le possesseur particulier est trop maître, telles que la monnaie et l’argent, que l’on cache aisément à l’inspection publique.

L’établissement d’un domaine public n’est pas, j’en conviens, une chose aussi facile à faire aujourd’hui dans la Corse déjà partagée à ses habitants, qu’elle le fut dans Rome naissante, avant que ses territoires conquis appar-