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avaient raison, puisque l’argent étant nécessaire pour payer les tailles, ces pauvres gens qui n’en avaient plus, saisis et exécutés dans leurs maisons, se voyaient dépouillés de leurs ustensiles les plus nécessaires, de leurs bardes, de leurs guenilles, qu’il fallait transporter d’un lieu à l’autre, et dont la vente ne rendait pas la dixième partie de leur prix, de sorte que faute d’argent ils payaient l’imposition dix fois pour une.

Mais, comme dans notre système on ne sera plus forcé de payer la taille en espèces, le défaut d’argent, n’étant point un signe de misère, ne servira point à l’augmenter ; les échanges pourront donc se faire en nature et sans valeurs intermédiaires, et l’on pourra vivre dans l’abondance sans jamais manier un sou.

Je vois que sous les gouverneurs génois, qui défendaient et gênaient de mille façons la traite des denrées d’une province à l’autre, les communes faisaient des magasins de blés, de vins, d’huiles, pour attendre le moment favorable et permis pour la traite, et que ces magasins servaient aux officiers génois de prétexte à mille odieux monopoles. L’idée de ces magasins n’étant pas nouvelle, en serait d’autant plus facile à exécuter et fournirait pour les échanges un moyen commode et simple pour la nation et pour les particuliers, sans risque des inconvénients qui le rendaient onéreux au peuple.

Même sans avoir recours à des magasins ou entrepôts réels, on pourrait établir dans chaque paroisse ou chef-lieu un registre public en partie double, où les particuliers feraient inscrire chaque année, d’un côté l’espèce et la quantité des denrées qu’ils ont de trop, et de l’autre celles qui leur manquent ; de la balance et comparaison des re-