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qui régnait entre des hommes sans maîtres, presque sans lois, et que les princes qui les entouraient s’efforçaient de diviser par toutes les manœuvres de la politique ; quand on voit l’inébranlable fermeté, la constance, l’acharnement même que ces hommes terribles portaient dans les combats, résolus de mourir ou de vaincre, et n’ayant pas même l’idée de séparer leur vie de leur liberté, l’on n’a plus de peine à concevoir les prodiges qu’ils ont faits pour la défense de leur pays et de leur indépendance ; on n’est plus surpris de voir les trois plus grandes puissances, et les troupes les plus belliqueuses de l’Europe, échouer successivement dans leur entreprise contre cette héroïque nation, que sa simplicité rendait aussi invincible à la ruse que son courage à la valeur. — Corses, voilà le modèle que vous devez suivre pour revenir à votre état primitif. — Mais ces hommes rustiques, qui d’abord ne connaissaient qu’eux-mêmes, leurs montagnes et leurs chaumières, en se défendant contre les autres nations, apprirent à les connaître ; leurs victoires leur ouvrirent les frontières de leur voisinage, la réputation de leur bravoure fit naître aux princes l’idée de les employer. Ils commencèrent à solder ces troupes qu’ils n’avaient pu vaincre ; ces braves gens, qui avaient si bien défendu leur liberté, devinrent les oppresseurs de celle d’autrui. On s’étonnait de leur voir porter, au service des princes, la même valeur qu’ils avaient mise à leur résister, la même fidélité qu’ils avaient gardée à la patrie ; vendre à prix émargent les vertus qui se paient le moins et que l’argent corrompt le plus vite. Mais, dans ces premiers temps, ils portaient au service des princes la même fierté qu’ils avaient mise à leur résister ; ils s’en regardaient moins comme les satellites que comme les