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personne ne le lui disputera. Ils sont toujours certains de retrouver leurs brebis, sur lesquelles chacun met sa marque, et qu’ils laissent paître ensuite dans les campagnes sans que personne les garde : le même esprit d’équité paraît les conduire dans toutes les rencontres de la vie.

Les grands historiens, souvent dans les plus simples narrations, et sans raisonner eux-mêmes, ont rendu sensible au lecteur la raison de chaque fait qu’ils rapportent.

Quand un pays n’est pas peuplé par des colonies, c’est de la nature du sol que naît le caractère primitif des habitants. Un terrain rude, inégal, difficile à cultiver, doit plus fournir à la nourriture des bêtes qu’à celle des hommes ; les champs y doivent être rares et les pâturages abondants. De là la multiplication du bétail et la vie pastorale. Les troupeaux des particuliers, errants dans les montagnes, s’y mêlent, s’y confondent. Là, nul n’a d’autre clef que la nécessité du premier occupant ; la propriété ne peut s’établir ni se conserver que sous la foi publique, et il faut bien que tout le monde soit juste, sans quoi personne n’aurait rien, et la nation périrait.

Des montagnes, des bois, des rivières, des pâturages : ne croirait-on pas lire la description de la Suisse ? Aussi retrouvait-on jadis dans la Suisse le même caractère que Diodore donne aux Corses : l’équité, l’humanité, la bonne foi ; toute la différence était qu’habitant un climat plus rude, ils étaient plus laborieux ; ensevelis pendant six mois sous la neige, ils étaient forcés de faire des provisions pour l’hiver ; épars sur leurs rochers, ils les cultivaient avec une fatigue qui les rendait robustes ; un travail continuel leur ôtait le temps de connaître les passions ; les communications étaient toujours pénibles, et quand les