Page:Rousseau - Œuvres et correspondance inédites éd. Streckeisen-Moultou.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

abattre, vous vient d’elles. Des villes, peuplées d’hommes mercenaires, ont vendu leur nation pour se conserver quelques petits privilèges que les Génois savaient avec art leur faire valoir ; et, justement punies de leur lâcheté, elles demeurent les nids de la tyrannie, tandis que déjà le peuple corse jouit avec gloire de la liberté qu’il s’est acquise au prix de son sang.

Il ne faut point qu’un peuple cultivateur regarde avec convoitise le séjour des villes et envie le sort des fainéants qui les peuplent ; par conséquent il n’en faut point favoriser l’habitation par des avantages nuisibles à la population générale et à la liberté de la nation. Il faut qu’un laboureur ne soit par la naissance inférieur à personne, qu’il ne voie au-dessus de lui que les lois et les magistrats, et qu’il puisse devenir magistrat lui-même, s’il en est digne par ses lumières et par sa probité. En un mot, les villes et leurs habitants, non plus que les fiefs et leurs possesseurs, ne doivent garder aucun privilège exclusif ; toute l’île doit jouir des mêmes droits, supporter les mêmes charges, et devenir indistinctement ce qu’on appelle, en termes du pays : Terra di commune. Or, si les Villes sont nuisibles, les capitales le sont encore plus ; une capitale est un gouffre où la nation presque entière va perdre ses mœurs, ses lois, son courage et sa liberté. On s’imagine que les grandes villes favorisent l’agriculture parce qu’elles consomment beaucoup de denrées ; mais elles consomment encore plus de cultivateurs, soit par le désir de prendre un meilleur métier qui les attire, soit par le dépérissement naturel des races bourgeoises que la campagne recrute toujours. Les environs des capitales ont un air de vie, mais plus on s’éloigne, plus tout est désert. De la capitale s’ex-