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cœur ; les nôtres n’ont souvent pour principe que la vanité et l’ambition. Mais ces sentiments étrangers, que l’éducation a portés dans notre ame, que l’habitude y a gravés, et que l’exemple y fortifie, deviennent, à la honte de l’humanité, plus puissants sur nous que les sentiments naturels : la douleur fait plus périr de ministres déplacés que d’amants malheureux.

Voilà, monsieur, si j’avais à plaider la cause des femmes, ce que j’oserais dire en leur faveur ; je les défendrais moins sur ce qu’elles sont que sur ce qu’elles pourraient être. Je ne les louerais point en soutenant avec vous que la pudeur leur est naturelle ; ce serait prétendre que la nature ne leur a donné ni besoins, ni passions ; la réflexion peut réprimer les désirs, mais le premier mouvement, qui est celui de la nature, porte toujours à s’y livrer. Je me bornerai donc à convenir que la société et les lois ont rendu la pudeur nécessaire aux femmes ; et si je fais jamais un livre sur le pouvoir de l’éducation, cette pudeur en sera le premier chapitre. Mais en paraissant moins prévenu que vous pour la modestie de leur sexe, je serai plus favorable à leur conservation ; et malgré la bonne opinion que vous avez de la bravoure d’un régiment de femmes, je ne croirai pas que le principal moyen de les rendre utiles soit de les destiner à recruter nos troupes.

Mais je m’aperçois, monsieur, et je crains bien de m’en apercevoir trop tard, que le plaisir de m’entretenir avec vous, l’apologie des femmes, et peut-