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mais ne cherchez pas à lui enlever le droit de nous attendrir : il me semble au contraire qu’aucun genre de pièces n’y est plus propre ; et, s’il m’est permis de juger de l’impression des autres par la mienne, j’avoue que je suis encore plus touché des scènes pathétiques de l’Enfant prodigue, que des pleurs d’Andromaque et d’Iphigénie. Les princes et les grands sont trop loin de nous, pour que nous prenions à leurs revers le même intérêt qu’aux nôtres. Nous ne voyons, pour ainsi dire, les infortunes des rois qu’en perspective ; et dans le temps même où nous les plaignons, un sentiment confus semble nous dire, pour nous consoler, que ces infortunes sont le prix de la grandeur suprême, et comme les degrés par lesquels la nature rapproche les princes des autres hommes. Mais les malheurs de la vie privée n’ont point cette ressource à nous offrir : ils sont l’image fidèle des peines qui nous affligent ou qui nous menacent ; un roi n’est presque pas notre semblable, et le sort de nos pareils a bien plus de droits à nos larmes.

Ce qui me paraît blâmable dans ce genre, ou plutôt dans la manière dont l’ont traité nos poètes, est le mélange bizarre qu’ils y ont presque toujours fait du pathétique et du plaisant. Deux sentiments si tranchants et si disparates ne sont pas faits pour être voisins, et quoiqu’il y ait dans la vie quelques circonstances bizarres où l’on rit et où l’on pleure à la fois, je demande si toutes les circonstances de la vie sont propres à être représentées sur le théâtre, et si le sentiment trouble et mal dé-