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met, où l’on voit Séide, égaré par un zèle affreux, enfoncer le poignard dans le sein de son père ? Vous voudriez, monsieur, bannir cette tragédie de notre théâtre ? Plût à Dieu qu’elle y fût plus ancienne de deux cents ans ! L’esprit philosophique qui l’a dictée serait de même date parmi nous, et peut-être eût épargné à la nation française, d’ailleurs si paisible et si douce, les horreurs et les atrocités religieuses auxquelles elle s’est livrée. Si cette tragédie laisse quelque chose à regretter aux sages, c’est de n’y voir que les forfaits causés par le zèle d’une fausse religion, et non les malheurs encore plus déplorables où le zèle aveugle pour une religion vraie peut quelquefois entraîner les hommes.

Ce que je dis ici de Mahomet, je crois pouvoir le dire de même des autres tragédies qui vous paraissent si dangereuses. Il n’en est, ce me semble, aucune qui ne laisse dans notre âme après la représentation, quelque grande et utile leçon de morale plus ou moins développée. Je vois dans Œdipe un prince fort à plaindre sans doute, mais toujours coupable, puisqu’il a voulu, contre l’avis même des Dieux, braver sa destinée ; dans Phèdre, une femme que la violence de sa passion peut rendre malheureuse, mais non pas excusable, puisqu’elle travaille à perdre un prince vertueux dont elle n’a pu se faire aimer ; dans Catilina, le mal que l’abus des grands talents peut faire au genre humain ; dans Médée et dans Atrée, les effets abominables de l’amour criminel et irrité, de la ven-