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LE GRAND SILENCE BLANC

39 degrés de froid, aux environs de l’année 1916.

Kotak, impitoyable et triomphant, poursuit :

— Et les vieillards, qu’en faites-vous ?

Je surprendrais fort mon camarade si je lui disais que, dans mon pays, où la compétence exige la sénilité, les vieillards occupent les premières places, défendant unguibus et rostro les prébendes acquises, que ce sont eux qui président aux destinées de l’État et donnent le ton à la politique, ou plus simplement à la littérature.

Je me garde bien de dire ces choses qui mettraient en déroute l’esprit simple de Kotak, Esquimau Inuit, vivant aux dernières contrées habitables du monde.

Kotak ajoute froidement :

— Chez nous, les vieillards, on les mange.

Cette fois, c’en est trop, j’interviens et le rudoie ; j’essaye de lui faire comprendre toute l’horreur de sa conduite, mais Kotak n’est pas ému pour si peu. Il m’explique :

— Aux bonnes pêches, aux chasses heureuses succèdent les périodes de famine : on supprime alors les bouches inutiles. Ce sont les vieux eux-mêmes qui demandent à mourir.

Nous ne sommes pas des barbares, nous leur évitons de voir la mort en face ; on les empoisonne, un jour, sans qu’ils s’en doutent, puis on leur tranche la gorge et on les donne en pâture à nos chiens.