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LE GRAND SILENCE BLANC

Qu’est-ce que c’est ? Du sang ? mais oui, du sang… Ah ! j’y suis, le sang de la bête.

Je sors : un peu de neige, il n’y paraîtra plus.

Les chiens repus somnolent, seul Tempest se dresse et, me reconnaissant, vient me flairer. Il me regarde de ses bons yeux suppliants, et remue la queue. Oui, je te vois venir, tu voudrais rentrer avec moi. Tu sais qu’il y a un bon feu qui pétille et quelque os à attraper… non, non, my dear Tempest, il faut rester avec les camarades.

La bête a compris que je ne voulais pas d’elle, elle s’en va tristement, l’échine ployée, la queue traînante, la tête ras du sol…

La table dressée, la viande qui cuit, tout cela c’est pour moi. Je vais banqueter, oui banqueter tout seul.

Tout seul ?

Tout seul.

Ces deux mots martèlent mes tempes. C’est vrai, je suis seul, ce soir, seul, depuis des mois, et je serai encore seul demain, les jours suivants… toujours alors…

Pourquoi cette idée hante-t-elle ma cervelle ?

Loin de moi, pensées mauvaises.

On dirait que je suis ivre. Je jure de par Dieu que pas une goutte d’alcool n’a frôlé mes lèvres depuis sept semaines, je me sens tout drôle. Bah ! ce ne sera rien, je suis à jeun depuis le matin. La faim peut-être !