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rées de lui, parce que le monde n’était pas digne d’elles.

« Les persécutions poussèrent jusque dans les plus affreux déserts des patriarches, des anachorètes, Saint-Paul et Saint-Antoine ; mais la persécution fit moins de solitaires que la paix et le triomphe de l’église. Après la conversion de Constantin, les chrétiens, si simples et si ennemis de toute mollesse, craignirent plus une paix flatteuse pour les sens, qu’ils n’avaient craint la cruauté des tyrans. Les déserts se peuplèrent d’anges innombrables ; qui vivaient dans des corps mortels sans tenir à la terre. Ces solitudes sauvages fleurirent : des villes entières étaient presque désertes. D’autres villes, comme Oxyrinque dans l’Égypte, devenaient comme un monastère. Voilà la source des Communautés religieuses. Oh ! qu’elle est belle ! qu’elle est touchante ! que la terre ressemble au ciel, quand les hommes y vivent ainsi ! Mais, hélas ! que cette ferveur des anciens jours nous reproche le relâchement et la tiédeur des nôtres ! Il me semble que j’entends Saint-Antoine qui se plaint de ce que le soleil vient troubler sa prière, qui a été aussi longue que la nuit ! je crois le voir qui reçoit une lettre de l’empereur, et qui dit à ses disciples : réjouissez-vous, non de ce que l’empereur m’a écrit, mais de ce que Dieu nous a écrit une lettre, en nous donnant l’Évangile de son Fils. Je vois Saint-Pacôme, qui, marchant sur les traces de Saint-Antoine, devient, de son côté, dans un autre désert, le père d’une postérité innombrable. J’admire Hilarion, qui fuit de pays en pays, jusqu’au delà des mers, le bruit de ses vertus et de ses miracles qui le poursuit. J’entends un Solitaire qui, ayant vendu le livre des évangiles pour donner tout aux pauvres, et pour ne posséder plus rien, s’écrie : j’ai tout quitté, jusqu’au livre qui m’a appris à quitter tout. Un autre, (c’est le grand Arsène) devenu sauvage, s’il m’est permis de parler ainsi, consolait les autres Solitaires, qui se plaignaient de ne le point voir, leur disant : Dieu sait, Dieu sait, mes frères, si je ne vous aime point ; mais je ne puis être avec lui et avec vous. Voilà les hommes que Dieu a montrés de loin au monde dans les déserts, pour le condamner, et pour nous apprendre à le fuir. Sortons, sortons de Babylone persécutrice des enfants de Dieu, et enivrée du sang des Saints : hâtons-nous d’en sortir, de peur de participer à ses crimes, et à ses plaies.

« Ici je parle devant Dieu, qui me voit et m’entend ; je parle au nom de Jésus-Christ, et c’est sa parole qui est dans ma bouche ; je vous dis la vérité ; je vous la donne toute pure sans exagération : Que celui qui est attaché au monde par des liens légitimes, que la providence a formés, y demeure en paix ; qu’il en use comme n’en usant pas ; qu’il vive dans le monde, sans y tenir ni par le plaisir ni par intérêt : mais qu’il tremble, qu’il veille sans cesse, qu’il prie, et adore les desseins de Dieu. Je dis bien davantage : Qui n’a jamais cherché le monde, et que Dieu y appelle par des marques décisives de vocation, y aille, et Dieu sera avec lui : mille traits tomberont à sa gauche, et mille à sa droite, sans le toucher ; il foulera aux pieds l’aspic, le basilic, le lion et le dragon : rien ne le blessera, pourvu qu’il n’aille qu’à mesure que Dieux le mène par la main. Mais ceux que Dieu n’y mêne point, iront-ils s’exposer d’eux-mêmes ? Craindont-ils de s’éloigner des tentations et de faciliter leur salut ? Non, non ; Quiconque est chrétien et libre doit chercher la retraite : quiconque veut chercher Dieu doit fuir le monde, autant que son état lui permet de le fuir ! » (Fénélon, Entretien sur les avantages de la vie religieuse.)

Voilà ce qu’a dit, non l’Aigle de Meaux, qui se plaisait au milieu des éclairs et de la foudre ; mais le Cygne, le doux Cygne, dont le nom, aussi célèbre dans l’Église qu’aimé et populaire dans le monde, rappelle la mansuétude, la modération, la bonté, l’humilité, la charité, en un mot, l’Évangile ; oui, voilà le cri foudroyant qu’a jeté au monde le Cygne harmonieux de Cambrai ! Après cette voix tonnante, qui oserait accuser d’exagération un faible écho d’Amérique, et essayer de lui imposer silence ? Qui oserait encore, — s’autorisant de son ignorance, et profitant de l’ignorance des autres, — dénigrer, par malice ou légèreté, un genre