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« nous apprennent la foi et la raison. Il est vrai que Dieu a attaché du plaisir à quelques actions dont la fin est louable, et qui, eu égard à notre nature, deviennent nécessaires ; il est vrai, par conséquent, qu’il y a des plaisirs légitimes, et que nous pouvons sanctifier par la droiture de notre intention : mais, comme nous avons été corrompus par le péché, et que nos appétits se révoltent contre la raison, nous avons besoin de lutter sans cesse pour réprimer le dérèglement de nos passions ; sans cela, il n’y a point de victoire à espérer, et la raison sera honteusement asservie à l’empire des sens.

« C’est pour nous rendre victorieux de l’ennemi de notre salut, que Dieu nous a recommandé la mortification ; mais on doit y joindre une humilité sincère, et surtout le renoncement intérieur à sa propre volonté. Il n’y a rien que Jésus-Christ ait plus fortement inculqué. Il déclare qu’on ne peut être son disciple, à moins qu’on ne soit crucifié et mort à soi même. Il faut, dit-il, que le grain de froment meure dans la terre avant de produire du fruit. Il suit de là qu’on ne peut nier la nécessité de la mortification intérieure et extérieure, sans anéantir toute l’économie de la morale chrétienne.

« Quant aux austérités extraordinaires que pratiquent quelques serviteurs de Dieu, elles sortent de l’ordre commun. On ne doit les entreprendre que par une vocation spéciale, encore faut-il que cette vocation soit mûrement examinée, et, que l’on se sente une ferveur proportionnée à la sainteté de l’état que l’on veut embrasser.

« Les Saints n’ont garde de mesurer la vertu sur la grandeur des macérations. Ils ne les regardent que comme des moyens propres à expier leurs péchés, et à leur faire remporter la victoire sur leurs passions. Ils ne s’imaginent pas que Dieu se plaise à les voir souffrir ; mais ils pensent qu’il aime à les voir prendre les remèdes qui guériront les maladies spirituelles. C’est ainsi qu’une mère, pleine de tendresse pour son enfant, se résout à lui présenter une potion amère pour lui rendre la santé.

« Si l’on improuve encore les austérités de la pénitence, nous dirons qu’elles sont une suite de la doctrine de Jésus-Christ, et qu’elles sont autorisées par l’exemple des Prophètes, de Saint-Jean-Baptiste, du Sauveur lui-même, et de presque tous les Saints de la primitive Église. » (Note à la vie de Robert de Molesme.Godercard.)

« Une seule chose enchaîne la liberté humaine, c’est la crainte ; et toute crainte se réduisant à celle de souffrir, rien n’arrête plus celui qui s’est fait de la souffrance une joie et une gloire. Affranchi de toutes les servitudes, de toutes les préoccupations triviales, on vit dans la contemplation des idées éternelles, dans l’habitude du dévouement, qui exalte toutes les facultés ; dans un commerce familier avec la création, qui a des charmes plus vifs pour les simples et les petits. » (Ozanam.)

« Mais voilà ce que le monde ne comprend pas et ne saurait comprendre ; autrement il ne serait pas le monde. Son plus haut point de mire, c’est le bonheur d’ici-bas. Il le cherche partout, sans le trouver ; le vrai moine le trouve partout, sans le chercher. » (Rohrbacher.)

Dieu, qui a fait le cœur humain, le connaît bien ; et les Saints, qui avaient l’esprit de Dieu, le connaissaient aussi : voilà pourquoi ils ont exercé un si merveilleux ascendant sur le plus grand nombre de leurs semblables, sur les meilleurs, comme sur les plus coupables et les plus endurcis. Leurs doigts habiles savaient toucher ce clavier divin, et en éveiller les plus graves harmonies ; ils savaient lui faire rendre de ravissants accords de plaintes, de soupirs et de gémissements ; ils savaient en tirer, dans la solitude, une céleste symphonie de prière et d’amour !

Tous ceux qui ont étudié le cœur humain, et qui en ont une connaissance profonde, n’ignorent pas, que ce ne sont pas les plaisirs, les honneurs, les biens de la terre et les joies du monde qui peuvent le captiver et le satisfaire : il est fait pour autre chose que tout cela ! L’amour même, l’amour le plus chaste et le plus fidèle, l’amitié la plus sainte et la plus héroïque, et tout le bonheur qui en découle