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« que l’ont dit les Mystiques. Elle n’est pas un bien en soi, mais en ce qu’elle est l’instrument efficace d’un bien. La douleur est notre plus grand moyen de perfection. La douleur produit au fond un effet que je ne sais trop comment exprimer ; elle condense l’être. Sous les coups répétés du marteau, le fer rougi devient de l’acier. »

« La douleur sanctifie ! Et elle sanctifie à un point, qu’il n’est pas donné à celui qui la souffre de le savoir, si ce n’est peut-être par la bonne conscience qu’il en a de lui-même. Remarquez combien les personnes qui ont souffert ensemble s’estiment après ! »

« Dans l’échelle de l’humanité, à mesure que le regard descend, on voit le rire augmenter ; à mesure qu’il se relève, on voit régner le sérieux, inséparable sentiment des grandes choses. »

« Qui saurait compter les richesses de la douleur ! Les hommes qui ont vécu à l’abri de la douleur ont ordinairement peu de valeur parmi leurs semblables. La vie n’est parvenue à défricher en eux que la surface de l’âme ; leurs sentiments et leurs affections n’ont pu prendre de profondeur. Ils montrent encore cette sorte d’affabilité banale qui s’efface aussi vite qu’elle naît ; mais ils ne connaissent pas cette large sympathie qui absorbe la douleur dans ceux qui en sont surchargés. C’est ce qui fait dire que le bonheur rend égoïste, et que le malheur apprend à compatir.

« Hélas ! oui, dans ce monde affligé, c’est la douleur qui a réussi à préparer le plus grand nombre de Saints, de héros, d’hommes de génie, et d’excellentes familles.

« Enfin, vous savez qu’ici-bas, le plus tendre de vos amis est toujours celui qui a le plus souffert ou le plus réellement aimé, car l’un est comme l’autre… La mesure de la douleur donne toujours celle de l’amour. »

Et voilà pourquoi Sainte-Thérèse s’écriait si souvent, dans l’excès de son amour pour Dieu : ou souffrir, Seigneur, ou mourir !

Les plus grands Saints dans le ciel sont ceux qui ont le plus souffert sur la terre ; qui ont été le plus tentés, le plus éprouvés de toutes les manières : c’est donc une déplorable illusion de vouloir devenir un Saint, sans prendre sa croix et gravir le calvaire : « le saint est un être fondu avec la douleur ! »

Le christianisme est une religion d’amour ; or, aimer, ici-bas, vous le savez c’est souffrir : le christianisme est donc une religion de douleur et de souffrance ; la vie du chrétien est un combat incessant, une longue passion, un drame sublime ! Le chrétien est toujours aux prises avec de terribles ennemis, qui, sans cesse terrassés, renaissent sans cesse, comme les têtes de l’hydre, et l’attaquent avec fureur, lorsqu’ils ne peuvent le surprendre par la ruse, ou le séduire, en se transformant en anges de lumière.

On entend souvent dire dans le monde, qu’on doit faire son salut gaiement, joyeusement, en cueillant des fleurs ; que le bon Dieu n’est pas si exigeant : oui, il faut au monde un christianisme mondanisé, accommodé à ses goûts et à ses faiblesses ; il lui faut un christianisme facile et complaisant : mais qu’il est différent, ce christianisme adultère, de celui qui est enseigné dans l’Évangile, et pratiqué par les disciples de la croix ! — Hélas ! que le monde est tristement heureux, et que le Saint est heureusement triste ! Vœ mundo a scandalis, — malheur, malheur au monde, à cause de ses scandales et de sa joie impie ! Heureux ceux à qui Dieu a fait la grâce de le connaître et de l’aimer seul ! Heureuses les vierges du cloître ! Heureux les solitaires, les anges des Thébaïdes !

Oh ! quel est le Saint, quel est l’homme de génie, le poète, l’artiste catholique, qui ne s’est écrié, dans ses moments de pieux enthousiasme et de tristesse inspiratrice :


Grief, Sorrow, Sadness mild,
Gloom, Melancholy wild,
Whate’er thy hallow’d name,
Thy magnet-spell’s the same !