Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Unseen by man’s disturbing eye :
The flow’r that blooms beneath the sea,
Too deep for sunbeams, doth not lie
Hid in more chaste obscurity.


(MOORE.)

C’est en pensant aux vies angéliques des paisibles et austères contemplatifs, ces Colombes de l’Église, que Danielo a écrit ces belles et touchantes paroles :

« J’ai toujours aimé les vies saintes. J’aime ces cœurs purs et doux, ces êtres inoffensifs, affectueux, bienveillants, en garde contre tout mal, prêts à tout bien, passant sur cette terre sans y toucher en quelque sorte, et avec la timidité d’une jeune fille dans un bois, de l’hirondelle dans les airs.

« J’aime ces natures heureuses, qu’un ange ami marqua du sceau et frappa de l’Esprit divin ; qui, ne voulant pas être méchantes comme le reste des hommes, leur cèdent ce monde, les évitent, ne cherchent qu’à fuir comme la colombe, et à s’en aller aux solitudes.

« J’aime ces âmes d’élite, aux goûts épurés, aux désirs délicats, aux besoins sublimes, aux espoirs infinis, qui, loin de suivre la voie large où se perd la foule, s’en éloignent, vont gravissant seules le vide sentier de la vertu, et s’y font une atmosphère à part, où, comme dans un sanctuaire, la paix règne avec l’amour.

« J’aime ces existences supérieures, déjà presque éthérées, qui, laissant à d’autres les plaisirs et les gloires de la terre, aspirent plus haut, et ne conçoivent, dès ce monde, que les passions des anges et les voluptés de la vertu.

« Mon âme est bien faible pour suivre leur essor ; mais je crois le comprendre : quand il n’échappe point à ma vue, j’aime du moins à le contempler, à l’admirer de la terre, comme le pâtre admire l’alouette chantant dès l’aurore, comme le chasseur admire l’aigle montant sur les Alpes, comme le voyageur admire le condor planant sur les Andes, comme l’astronome admire les constellations roulant dans l’étendue et rayonnant au-dessus des ténèbres qui nous enveloppent.

« Les Saints, en effet, comme l’a toujours dit le vieil Orient, sont les astres du monde : ce sont leurs vertus qui l’éclairent, leurs vertus qui le soutiennent, leurs vertus qui le sauvent. J’aime la lumière qu’ils versent, les hautes sphères qu’ils habitent.

« Je ne sais, mais il me semble, que là le cœur, l’insatiable cœur est enfin content ; que l’âme affranchie y respire et s’y développe dans toute sa puissance. Là rien ne la comprime, rien ne l’étourdit plus ; loin de l’atteinte des bruits et des fumées de la terre, elle nage, déjà heureuse, dans le vide des illusions agitées de la matière, et dans le plein des immuables réalités de l’esprit. »

« Le monde, dit un pieux auteur, a beau refuser de croire que les âmes retirées et fidèles aux engagements de leur vocation, soient heureuses, son incrédulité ne change en rien la destinée de la vertu ; et tandis qu’il s’étourdit et se tourmente dans le tourbillon des inutilités et des chimères qui l’absorbent, la pure et éternelle vérité fait briller dans le sein de ces austères solitudes, toute sa magnificence et tous ses trésors ; et elle pénètre d’une joie toute céleste des cœurs étonnés eux-mêmes d’éprouver un si plein contentement. »

Ducis, après avoir visité la Grande Chartreuse, écrivait à un de ses amis :

« J’ai vu le désert de Saint-Bruno, sa fontaine, sa chapelle, la pierre où il s’agenouillait, devant ces montagnes effrayantes, sous les regards de Dieu. J’ai visité toute la maison : j’ai vu les Solitaires à la grand’messe ; j’ai causé avec un des plus jeunes dans sa cellule ; tout m’a fait un plaisir profond et calme. Les agitations humaines ne montent pas là. Ce que je n’oublierai jamais, c’est le contentement céleste qui est visiblement peint sur le visage de ces religieux.

« Le monde n’a pas d’idée de cette paix : c’est une autre terre, une autre nature. On la sent, on ne la définit pas cette paix qui vous gagne.

« Je vous assure, mon cher ami, que toutes ces idées de fortune, de succès, de plaisirs, tout ce tumulte de la vie, tout ce tapage qui est dans nos yeux, nos oreilles, notre imagination, restent à l’entrée de ce désert ; et que notre âme nous ramène alors à la nature et à son Auteur. »

Dans son Voyage à la Grande Chartreuse, un auteur contemporain, Dupré Deloire, après avoir décrit les lieux habités par ces austères contem-