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« Ces considérations, qui regardent les deux sexes, acquièrent encore une plus grande importance lorsqu’elles s’appliquent à la femme. Avec son imagination exaltée, son cœur passionné et son esprit léger, celle-ci a besoin, encore plus que l’homme, d’inspirations sévères, de pensées sérieuses et graves, qui fassent un contre-poids à la mobilité avec laquelle elle parcourt tous les objets, recevant avec une facilité extrême les impressions de tout ce qu’elle touche, et, comme un agent magnétique, communiquant à son tour ces impressions à tout ce qui l’environne. Permettez donc qu’une partie de ce sexe se livre à une vie de contemplation et d’austérité ; permettez que les jeunes filles et les matrones aient toujours sous les yeux un modèle de toutes les vertus, un sublime type de leur plus bel ornement, qui est la pudeur ; cela ne sera certainement pas inutile. Ces vierges ne sont ravies, croyez-le, ni à la famille ni à la société ; l’une et l’autre recouvreront avec usure ce que vous vous imaginez qu’elles avaient perdu.

« En effet, qui peut mesurer la salutaire influence que doivent avoir exercée sur les mœurs de la femme les cérémonies augustes par lesquelles l’Église catholique solennise la consécration d’une vierge à Dieu ? Qui peut calculer les saintes pensées, les chastes inspirations qui seront sorties de ces silencieuses demeures de la pudeur, élevées tantôt dans des lieux retirés, tantôt au milieu de cités populeuses ? Croyez-vous que la vierge, dont le cœur commence à être agité par une passion brûlante, que la matrone, qui a donné accès dans son cœur à des inclinations dangereuses, n’auront pas trouvé mille fois un frein à leur passion dans le seul souvenir de la sœur, de la parente, de l’amie qui, là, dans cette silencieuse demeure, élevait au ciel un cœur pur, offrait en holocauste au Fils de la Vierge tous les enchantements de la jeunesse et de la beauté ? cela ne se calcule pas, il est vrai ; mais, du moins, est-il certain qu’il n’est sorti de là aucune pensée légère, que cela n’a jamais inspiré une inclination à la sensualité. Cela ne se calcule pas ; mais calcule-t-on la salutaire influence qu’exerce sur les plantes la rosée du matin  ? Calcule-t-on l’action vivifiante de la lumière sur la nature ? Et a-t-on calculé comment l’eau s’infiltre dans les entrailles de la terre, la féconde, la fertilise, en fait surgir les fleurs et les fruits ? Il y a donc une infinité de causes dont on ne peut nier l’existence et l’efficacité, et qu’il est néanmoins impossible de soumettre à un calcul rigoureux. Ce qui fait l’impuissance de toute œuvre exclusivement émanée de l’esprit de l’homme, c’est que cet esprit est incapable d’embrasser l’ensemble des rapports qui s’entrelacent dans ce genre de faits, c’est qu’il lui est impossible d’apprécier, comme il convient, les influences indirectes, parfois occultes, parfois imperceptibles, qui y agissent avec une délicatesse infinie ! Voilà pourquoi le temps dissipe tant d’illusions, dément tant de pronostics, prouve la faiblesse vde ce que l’on croyait fort, et la force de ce que l’on croyait faible. En effet, le temps met en lumière mille rapports dont on ne soupçonnait pas l’existence, met en action mille causes que l’on ne connaissait pas, ou que l’on méprisait : les résultats vont se développant, se présentant tous les jours d’une manière plus sensible, jusqu’à ce qu’enfin on se trouve en présence d’une situation nouvelle, où il est impossible de fermer les yeux à l’évidence des faits, où il n’est plus donné de résister à la force des choses. Et voici une des méprises les plus choquantes des adversaires du Catholicisme : ils ne parviennent jamais à voir les choses que sous un seul aspect ; ils ne comprennent, pour une force quelconque, d’autre direction que la ligne droite ; ils ne voient pas que le monde moral, aussi bien que le monde physique, est un ensemble de rapports infiniment variés, d’influences indirectes agissant parfois avec plus d’efficacité que les influences directes elles-mêmes. Tout forme un système de corrélation et d’harmonie, dans lequel il faut se garder d’isoler les parties plus qu’il n’est absolument nécessaire pour mieux connaître les liens cachés et délicats qui les unissent avec le tout. »

Pour parler le langage poétique de Mgr  de Tulle, dans une de ses lettres pastorales de 1842 :

« Les vierges consacrées, essaims de pures colombes, embellissent, en plus d’un lieu, des solitudes parfumées de prières, de saintes œuvres et de vertus. »

C’est à une de ces vierges cloîtrées que l’on peut faire la vraie application des vers suivants :


Oh what a pure, and sacred thing,
Is beauty curtain’d from the sight
Of the gross world, illumining
One only mansion with her light,