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« pas ce genre de vie, personne ne les force de le prendre. Si, riches et contents, ils n’ont pas senti les misères de l’âme et du corps, à la bonne heure ; mais il leur sied mal d’ôter aux autres un asile qui serait encore sacré, quand il ne servirait à satisfaire qu’un caprice de la nature.

« Que deviendraient, sans les cloîtres, nous dit Marchangy, ceux-là que les écoles et les passions au siècle ont rendus exigeants à ce point, qu’il n’y a plus rien dans la vie qui soit à leur convenance ? »

« Toutes les religions vieilles ou modernes, nous dit encore M. Bellart, ont eu des lieux de retraite, de recueillement, d’expiation : chez les païens même, la raison, d’accord avec la politique, les protégeait. Comment se ferait-il que ce fût dans la religion catholique toute seule que fussent proscrits ces sanctuaires ? Comment se ferait-il qu’ils dussent l’être, surtout après les terribles agitations que nous avons traversées ? »

Concevez-vous maintenant pourquoi il y a des Anachorètes, des Carmélites, des Trappistes, des Chartreux et des Camaldules ? Hommes de peu de foi ! vous ne savez donc pas quel baume la religion verse sur les blessures du cœur ? Vous ne savez donc pas qu’il faut des asiles où l’on puisse aller se consoler avec Dieu des mécomptes de la fortune ? Vous ne comprenez donc pas, enfin, qu’il faut des sanctuaires impénétrables, et pleins d’ombre, où puissent s’abriter les âmes innocentes et chastes comme des anges, qui ne peuvent vivre au milieu d’un monde corrompu et corrupteur ?

« Écoutons le célèbre Burke, sur l’utilité des Ordres contemplatifs : « Les moines sont paresseux, dit-il, je le veux. Supposez qu’ils n’aient d’autre emploi que de chanter au chœur, ils sont aussi utilement employés que ceux qui jamais ne chantent ni ne parlent ; aussi utilement même que ceux qui chantent au théâtre ; ils sont employés tout aussi utilement que s’ils travaillaient, depuis l’aube du jour jusqu’à la nuit, aux innombrables occupations serviles, dégradantes, indécentes, indignes de l’homme et souvent pestilentielles et destructives, qui existent dans l’économie sociale, et auxquelles tant d’êtres malheureux sont obligés de se vouer. S’il n’était généralement pernicieux de troubler le cours ordinaire des choses, et d’arrêter, d’une manière quelconque, cette grande roue de circulation, dont tous les travaux de ce peuple malheureux dirigent la rotation, je me sentirais bien plus porté à arracher tous ces infortunés à leur misérable industrie, qu’à troubler le repos de la paix monastique. L’humanité, et peut-être la politique, me justifierait plutôt de l’un que de l’autre. C’est un sujet sur lequel j’ai souvent réfléchi, et jamais sans être vivement ému. »

Écoutons encore Leibnitz, l’un des plus grands génies modernes, sur l’utilité des Ordres religieux en général, et des Ordres contemplatifs en particulier :

« Il n’est pas moins utile qu’outre ceux qui sont dans les affaires et la vie commune, il y ait dans l’Église des hommes occupés à la vie ascétique et contemplative ; qui, délivrés des soins terrestres et foulant aux pieds les plaisirs, se donnent tout entiers à la contemplation de la divinité et à l’admiration de ses œuvres ; ou même, qui, dégagés de toute affaire personnelle, n’aient d’autre occupation que de subvenir aux besoins du prochain, soit par l’instruction des hommes égarés ou ignorants, soit par le secours des malheureux et des affligés ; et ce n’est pas une des moindres prérogatives de cette Église, qui seule a retenu le nom et le caractère de catholique, et qui seule offre et propage les exemples éminents de toutes les excellentes vertus de la vie ascétique. Aussi, j’avoue que j’ai toujours singulièrement approuvé les Ordres religieux, les pieuses associations et toutes les institutions louables en ce genre, qui sont une sorte de milice sur la terre. Que peut-il, en effet, y avoir de plus excellent que de porter la lumière et la vérité aux nations éloignées, à travers les mers, les feux et les glaives ; de n’être occupé que du salut des âmes ; de s’interdire tous les plaisirs et jusqu’aux douceurs de la conversation et de la société, pour vaquer à la contemplation des vérités surnaturelles et aux méditations divines ; de se dévouer à l’éducation de la jeunesse, pour lui donner le goût de la science et de la vertu ; d’aller porter des secours aux malheureux, aux prisonniers, aux condamnés, aux malades, à ceux qui sont dénués de tout, ou dans les fers, ou dans des régions lointaines ; et dans ces ser-