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« une frénésie de quelques anciens philosophes ; mais la transmigration des vertus, c’est une chose qui se fait tous les jours dans l’Église de Dieu, par le moyen de la grâce de Dieu, et d’une sainte imitation. »

Voici maintenant la réflexion d’un agiographe moderne :

« D’après ce principe que les saints étant des hommes comme nous, nous devons être des saints comme eux » pourquoi n’y aurait-il pas encore, et ici comme ailleurs, des Antoine, des François d’Assise, des Dominique et des Jean de la Croix ? Pourquoi n’y aurait-il pas des Thècle, des Catherine de Sienne, des Thérèse, des Magdeleine de Pazzi et des Rose de Lima ?

« On parle sans cesse d’exemples plutôt admirables qu’imitables ; mais il n’en est point qui ne puissent être imités par ceux qui ont reçu le même attrait… Il y a des exemples extraordinaires qui furent provoqués par un mouvement particulier de l’Esprit-Saint : à moins d’un mouvement semblable, il ne faut pas les suivre. »

Si nous avions une foi vive, si nous aimions, nous ne trouverions pas si difficile de marcher sur les traces de Jésus-Christ, et de rivaliser d’héroïsme avec les Saints. Nous ne dirions pas, toutes les fois qu’il s’agit de grandes choses : c’est trop parfait pour nous ; c’était bon pour les Saints. — Et tout cela vient de notre égoïsme et de notre lâcheté. Oui, l’égoïsme, voilà la maladie du siècle.

« Autrefois, nous dit Rohrbacher, que de merveilleuses conversions ! que de prodigieuses pénitences ! Aujourd’hui, peut-être, nous n’allons pas si loin dans le mal, mais nous n'allons pas non plus aussi loin dans le bien : nous sommes médiocres en tout ; nous ne sommes ni froids ni chauds ; nous sommes tièdes. Craignons que le Seigneur ne nous rejette, et qu’il n’appelle quelques nouveaux barbares pour occuper notre place au ciel. »

Nous sommes arrivés à l’époque prévue par l’Aigle de Meaux :

« Je prévois, disait-il, que les libertins et les esprits-forts pourront être discrédités, non par aucune horreur de leurs sentiments, mais parce qu’on tiendra tout dans l’indifférence, excepté les plaisirs et les affaires. »

En effet, comme autrefois, l’homme n’aspire plus avec ardeur à devenir un ange ; il semble se contenter de ne pas tomber jusqu’au niveau de la brute. Il ne tient pas à monter très haut, pourvu qu’il ne tombe pas trop bas : le médiocre, le juste-milieu, voilà l’assiette ordinaire où il se trouve heureux. Et cependant nous ne cesserons de lui crier, au nom d’une religion divine : Ô homme, aspire à ce qu’il y a de plus parfait ; aspire à égaler l’ange, à ressembler à Dieu ; c’est là ta glorieuse destination :

To be sublimely great, or to be nothing !
(SOUTHERN.)


Pascal le disait déjà aux fidèles de son temps :

« Ce qui nous trompe, en comparant ce qui s’est passé autrefois dans l’Église à ce qui s’y passe maintenant, c’est qu’ordinairement on regarde Saint Athanase, Sainte Thérèse et les autres Saints, comme couronnés de gloire. — Présentement que le temps a éclairci les choses, cela paraît véritablement ainsi : Mais au temps que l’on persécutait ce grand Saint, c’était un homme qui s’appelait Athanase ; et sainte Thérèse, dans le sien, une religieuse comme les autres. « Élie était un homme comme nous et sujet aux mêmes passions que nous, dit l’apôtre saint Jacques, (Jac. 5, 17.) pour désabuser les chrétiens de cette fausse idée qui nous fait rejeter l’exemple des Saints, comme disproportionné à notre état : c’étaient des Saints, disons-nous, ce n’est pas comme nous. »

Dans le même siècle, le Cardinal Bona écrivait la même chose :

« Nous croyons qu’il est très difficile de régler notre vie sur celle des Saints, parce que nous les imaginons comme des esprits dégagés du corps. Mais, si nous voulons les imiter, comme nous y sommes obligés, nous devons les considérer d’une autre manière : ils ont été des hommes comme nous, infectés de la même corruption, exposés aux mêmes tentations, aux mêmes dangers ; et cependant, par la foi ils ont conquis les royaumes, ils ont accompli les devoirs de la justice et de