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ciété, en même temps qu’elle assurera ceux si capitaux de son éternité. »

« Pour quiconque a quelque sentiment religieux, nous dit un autre auteur, une telle occupation n’est ni oisive ni méprisable. N’est-il pas heureux qu’il y ait des hommes qui prient pour leurs frères, qui s’interposent entre le ciel et nous, qui lèvent les mains sur la montagne, tandis que les autres combattent dans la plaine ; qui suppléent à la négligence de ceux-ci ou à la vie agitée de ceux-là ; qui expient les fautes et les égarements de la multitude ; qui détournent la colère de Dieu, provoquée par nos passions ; qui pleurent entre le vestibule et l’autel, et attirent sur l’État et sur les particuliers les secours et les grâces dont nous avons tous besoin. »

Disons alors, avec M. d’Esgny, dans son Livre des Saints :

« Nul autre que Dieu ne sait combien de maux sont sauvés à l’humanité par les mérites d’une sainte Claire ou d’une sainte Rosalie. Ce que les prières vont chercher de bénédictions au ciel pour les répandre sur la terre, ce que les mortifications peuvent éviter de crimes et de châtiments est un mystère que rien ne trahit ici-bas.

« Vous donc, ô douces vierges du cloître, n’ayez nul regret aux biens et aux amitiés que vous laissâtes dans le monde ; ne jetez pas vers lui d’amers souvenirs, de regards humides de pleurs ; la solitude est bonne et saura mieux rafraîchir vos âmes que ne feraient les turbulentes ivresses, les joies passagères du siècle. Si le cloître a ses heures de triste isolement et de décourageante uniformité, le monde a bien aussi ses jours de sombre douleur, ses heures d’ennui dévorant, d’écrasante monotonie ; il a ses plaies saignantes, ses revers soudains, ses amitiés trompées, ses honteuses rivalités, ses affreux mécomptes, ses espérances déçues, ses inquiétudes perpétuelles. »

Disons encore, avec M. Collombet, dans sa Vie de Sainte-Thérèse :

« Il y a, dans le christianisme, une loi bien touchante et bien consolatrice : c’est que les souffrances et les prières du juste ne satisfont pas seulement pour lui, mais satisfont encore pour le coupable qui, de lui-même, ne peut s’acquitter ; c’est que, de tant de larmes et de tant de soupirs répandus au pied de l’autel, de tant de labeurs, de tant de peines, rien n’est perdu, tout retourne à l’humanité.

« C’est pourquoi quelques chrétiens, dont toute la jeunesse s’est paisiblement écoulée dans la vertu et dans l’innocence, et qui n’ont, ce semble, rien à expier pour eux, se sentent saisis d’un immense désir d’expier par leurs propres douleurs les maux de l’humanité entière ; puis, alors ils renoncent à toute consolation terrestre ; ils vont, loin du bruit des villes et de la vue des hommes, s’enfermer dans d’étroites et obscures cellules, mortifier leur chair par le jeûne et par la discipline, s’ensevelir vivants dans leurs tombeaux, et verser des larmes amères qui ne sont vues que de Dieu. Il y a bien, dans le siècle, des philosophes qui demandent niaisement, à quoi servent ces gens-là ? mais il y a, au ciel, des anges qui leur disent : courage ! qui conversent avec eux, et qui les attendent. »

Nous pouvons maintenant laisser parler le P. Lacordaire ; après les lignes qui précèdent, il sera mieux compris :

« Le premier de tous les services est le service gratuit et populaire de la douleur. Vous me direz : qu’est-ce que cela, le service gratuit et populaire de la douleur ? Il est aisé de vous l’apprendre, Messieurs : quelle qu’en soit la raison, je ne la cherche pas en ce moment, une somme de douleur pèse sur le genre humain. Depuis six mille ans, de même qu’il tombe du ciel une certaine quantité de pluie par année, il tombe du cœur de l’homme une certaine quantité de larmes. L’homme a tout essayé pour échapper à cette loi ; il a passé par bien des états différents, depuis l’extrême barbarie jusqu’à l’extrême civilisation ; il a vécu sous des sceptres de toute forme et de toute pesanteur ; mais, partout et toujours, il a pleuré, et, si attentivement qu’on lise son histoire, la douleur en est le premier et le dernier mot. Il en change quelquefois la forme, encore tout au plus, mais il n’en change pas la nature ni la quantité ! Jésus-Christ lui-même, celui qui a fait dans la douleur la plus grande révolution, Jésus-Christ ne l’a pas beaucoup diminuée ; il en a pris sa part et l’a transfigurée sans la détruire. Faites donc ce que vous voudrez, pensez-en tout ce qu’il vous plaira, soyez riches, puissants, habiles, immortels, heureux enfin ; soyez tout cela, j’y consens, mais sachez que, de votre berceau à votre tombe, vous vous mouvez dans un vaste système de douleur, où, fussiez-vous épargnés, la douleur est