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une joie triste, a sorrowing joy ! Et chaque chrétien peut s’écrier avec le poète anglais :

O may my heart in tune be found

Like David’s harp of solemn sound.
(Watts.)

« Le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs. »

Ces lignes sont de Monsieur de Chateaubriand, l’Homère breton, dont la voix s’est éteinte, et qui habite maintenant un mausolée.

" Whatever is highest and holiest is tinged with melancholy : the eye of Genius has always a plaintive expression, and its natural language is pathos. A prophet is sadder than other men ; and he who was greater than all prophets was a man of sorrow and acquainted with grief.

Nous ne savons de qui sont ces belles paroles, que nous avons lues dans un journal de cette ville.

Oui, le cœur humain est un abîme et un mystère ; on ne peut ni le sonder, ni le comprendre et l’analyser : les tristesses du cœur sont profondes et amères comme les eaux de l’océan ; le cœur touche à l’infini et se voile ici-bas dans un mélange intime de joies et de douleurs inénarrables.

D’où vient donc ce fond de mélancolie et de tristesse ? Écoutons ce que nous dit un jeune et brillant philosophe de Lyon, Blanc Saint-Bonnet :

« Le christianisme amène ce fait remarquable, qu’une multitude d’âmes déjà formées pour le Ciel ont encore à écouler toute une vie sur la terre……

« L’étendue même de la conscience, l’accroissement de notre cœur, la grandeur de l’imagination, la perspective des joies infinies, enfin cette aptitude à l’émotion qui accroît en quelque sorte notre être, tout concourt aujourd’hui à jeter des âmes riches, tendres, merveilleuses, au milieu d’une existence amère et désenchantée……

« Les âmes ont pris des proportions qu’elles n’avaient pas dans l’antiquité. Cette sorte de douleur qui leur est ordinaire, ce que nos temps ont appelé mélancolie, est un sentiment dont les anciens ont ignoré même le nom. Il suit aujourd’hui les pas de toute grande faculté……

« Exaltations généreuses, amours irrassasiés, enthousiasmes inapplicables, excepté par la patience, tout s’apprête à nous dévorer comme une proie intérieure. L’homme se trouve à la fois chargé des mystères de sa conscience et du poids de son cœur. Le temps, qui sait tant de choses ne l’a point relevé de son éternelle inquiétude. M. de Chateaubriand faisait déjà cette remarque en 1802, lorsqu’il publia pour la première fois René : « les persécutions qu’éprouvèrent les premiers fidèles augmentèrent en eux le dégoût des choses de la vie. L’invasion des Barbares y mit le comble, et l’esprit humain en reçut une impression de tristesse qui ne s’est jamais bien effacée. De toute part s’élevèrent des couvents, où se retirèrent des malheureux trompés par le monde, et des âmes qui aimaient mieux ignorer certains sentiments de la vie que de les voir cruellement trahis. Mais, de nos jours, quand les monastères, ou la vertu qui y conduit, ont manqué à ces âmes ardentes, elles se sont trouvées étrangères au milieu du monde. »

Un maintien grave, un air recueilli, un front méditatif, une physionomie sereine et contemplative, une figure pâle et austère a toujours exercé sur le monde une puissance d’attraction irrésistible. Mais laissons parler Jacques Balmès ; l’érudit, l’éloquent, le poétique Balmès ; précoce et profond génie que la mort a enlevé avant le temps, et que la France envie à l’Espagne :

« Admirables secrets de notre cœur ! Altérés de plaisirs, entraînés par le tourbillon des jeux et des ris, nous ne pouvons nous défendre d’être saisis d’une émotion profonde à la vue de l’austérité et du recueillement de l’âme. La solitude, la tristesse même, exerce sur nous une indicible fascination. D’où vient cet enthousiasme qui ébranle un peuple entier, le soulève et l’entraîne comme par enchantement sur les traces de l’homme dont le front porte l’empreinte du recueillement, dont les traits révèlent l’austérité de la