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parer dans le silence au dernier passage, et compenser, par des sacrifices pénibles à la nature, le temps qu’ils ont perdu à errer dans des voies coupables ? »

Et enfin, terminons ce chapitre par l’extrait d’un discours de M. Frayssinous à la chambre des Pairs :

« Il est des âmes qui ont soif d’isolement, il est des âmes qui ont besoin de ne converser qu’avec Dieu.

« Et pourquoi d’ailleurs n’existerait-il pas des maisons assorties à tous les besoins, à tous les désirs ? Pourquoi ne pas laisser à chacun la liberté de suivre son attrait, et de chercher le bonheur dans la solitude, s’il croit l’y trouver ? Dans toutes les choses qui peuvent occuper l’homme sur la terre, il se rencontre des âmes fortes, ardentes, infatigables, à qui rien ne suffit, et dont on peut dire, qu’elles croient n’avoir rien fait lorsqu’il leur reste quelque chose à faire ; il leur faut une carrière sans bornes. Voyez certains érudits ; ils ne se contenteront pas d’amasser un riche trésor de connaissances, ils se consumeront de veilles et de fatigues pour débrouiller ce que l’antiquité la plus reculée peut avoir de plus ténébreux. Voyez certains voyageurs : insatiables de découvertes, ils ne se borneront pas à parcourir facilement et sans danger de vastes et belles contrées, il faut qu’ils montent jusque sur la cime des Cordillières, ou qu’à travers les sables brûlants de l’Afrique ils aillent visiter je ne sais quelle ville incertaine. Eh bien ! voyez aussi certaines âmes pieuses : c’est peu pour elles que le précepte, elles aspirent à toute la perfection des conseils évangéliques. Loin de nous ici le dédain et le mépris ; à côté des grands scandales il faut de grands exemples ; les grands crimes appellent de grandes expiations. L’esprit du chrétien se repose avec confiance sur ces victimes solitaires de la piété, qui, loin du monde profane, semblent s’interposer entre le ciel irrité et la terre coupable. Laissons des asiles au vice repentant comme à l’innocence alarmée ; que les Thérèse puissent s’y livrer en paix à toute l’ardeur de leurs pieux désirs, et les La Vallière y gémir sur leurs égarements. Souvent aussi qu’arrive-t-il ?… C’est qu’après les agitations sociales, ou les infortunes domestiques, ou l’expérience de la vanité et du néant des grandeurs humaines, un besoin immense de repos et de solitude se fait sentir ; on veut fuir un monde qui a trompé tant d’espérances, ou qui semble crouler de toutes parts ; aussi dans tous les temps a-t-on vu des dames illustres quitter le fracas du siècle pour le calme de la retraite : témoins, au cinquième siècle, ces dames romaines célébrées par saint Jérôme et qui descendaient des Scipion et des Paul Emile ; sous le règne de Louis XIII, les Frémiot de Chantal et les duchesses de Montmorency ; et de nos jours, les Louise de Bourbon et les Louise de Condé. Sachons respecter ce qu’ont respecté tous les âges du christianisme. »


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CHAPITRE TROISIÈME.

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DE LA MÉLANCOLIE ET DE LA TRISTESSE CHRÉTIENNES.



Je dois dire d’abord qu’il existe une tristesse mauvaise, c’est la plus commune ; cette tristesse est née du péché, elle produit le trouble et l’agitation, et trop souvent elle porte au désespoir et au suicide : sæculi autem tristitia mortem operatur. (St-Paul 2. cor. 7, 10.) Mais il existe aussi une sainte tristesse, celle qui vient de l’Esprit Saint, et qui remplit le cœur des sages : cor sapientium ubitristitia. (Eccles. 7, 5.)

La croix, c’est le signe du chrétien. La vie du chrétien, nous dit Bossuet, est une éternelle solennité. Nous lisons dans l’Évangile, que Jésus-Christ a pleuré, qu’il a été triste jusqu’à la mort ; mais nous ne lisons nulle part qu’il ait ri. Notre joie ici-bas est donc