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APOLOGIE DE LA VIE SOLITAIRE ET CONTEMPLATIVE

semblables de condition. S’il en est à qui la vie ordinaire avec ses travaux, ses fêtes et ses plaisirs, convient, il en est pour lesquelles cette vie serait un supplice. Celles qui veulent le monde, sont plus mêlées les unes que les autres aux agitations de son existence. Eh bien ! il est des âmes dont la nature est de se cacher, comme d’autres de se montrer ; de vivre d’une vie privée, comme d’autres d’une vie publique ; d’être recueillies et ignorées, comme d’autres vues et répandues.

« Que feraient au milieu du monde ces âmes qui, tout en chérissant les hommes, éprouvent un tel besoin de Dieu, que leurs pensées le cherchent sans cesse, montent toujours vers lui, qu’elles souffrent de tout ce qui les redescend aux choses d’ici-bas, que leur action est de communiquer habituellement avec le principe des êtres, de pénétrer le nuage qui le dérobe aux regards, et d’arriver à le contempler face à face ? — On dirait de célestes essences à qui toute occupation terrestre, tout soin matériel sont contraires.

« Que feraient au milieu du monde des âmes saintes et pures, qui veulent sauver ce que l’Évangile leur enseigne être un bien d’une valeur infinie, et dont la perte ou la conservation comporte des punitions ou des récompenses sans mesure et sans fin, — leur innocence ; et qui ne voyant autour d’elles aucun lieu où demeurer sans péril de souillure, demandent avec instances un abri loin des écueils ? — On dirait la colombe sortie de l’arche qui se hâte d’y rentrer, parce que les eaux fangeuses du déluge menacent partout encore sa blancheur.

 » Que feraient au milieu du monde les âmes d’une liberté rebelle et emportée, que la moindre occasion de s’émanciper agite, bouleverse ; qui, toujours en péril de s’en aller, rompant avec la loi, à toutes les erreurs et à toutes les licences, s’indignent sous le frein, et qui, victimes une fois du désordre, deviendraient promptement ses esclaves ? — On dirait des hommes sur une pente rapide où une faible secousse peut les précipiter ; ou bien assis au haut d’un abîme, les pieds en dedans du gouffre où ils peuvent à chaque instant tomber.

 » Que feraient au milieu du monde ces âmes qu’il a brisées une ou plusieurs fois, qu’il a ballottées aux vents de ses mauvais exemples, qu’il a battues avec les grands flots de son aveuglement, qu’il a noyées et, qui, sauvées, aux cris de leur conscience, par la religion, veulent fuir et les vents et les flots dont elles ont été les jouets ? — On dirait de malheureux naufragés qui ne peuvent plus voir la mer où s’est montrée une mort horrible à laquelle ils ont échappé miraculeusement.

« Enfin, que feraient au milieu du monde les âmes qui veulent vivre désormais entièrement à Dieu, parce qu’elles l’ont entièrement oublié d’abord ; qui pour avoir outragé sa bonté, veulent se dévouer à sa justice, se refuser toute jouissance légitime, comme expiation des jouissances criminelles qu’elles se sont permises ? — On dirait des voyageurs en retard qui marchent toujours afin d’arriver au temps marqué.

« Les siècles qui ne sont pas matérialistes ont pitié des âmes auxquelles ils croient. Ils avouent qu’elles ne prospèrent pas en toute position, de même qu’il est des plantes qui ne s’acclimatent pas partout ; qu’il faut aux âmes malades par nature ou par accident un régime à part, des asiles salutaires où elles consultent et soient soignées ; qu’empêcher la vivacité des unes d’aller aux extrémités du bien, c’est la jeter quelquefois aux extrémités du mal ; que négliger de traiter la souffrance des autres, c’est lui ouvrir la voie à des actes funestes ; qu’il importe de ménager à celles qui sont profondément affligées un autre conseil que le désespoir au sein de leurs douleurs, et pour en sortir une autre issue que le tombeau. »

Voici maintenant l’extrait d’un article publié dans L’Echo de la Jeune France :

« Du temps de nos pères, quand on avait au cœur un de ces chagrins profonds, immenses, qui ne laissent place à aucune autre pensée ; quand on sentait remuer dans son âme une mer d’amertumes, on allait demander à la mélancolie des cloîtres un asile pour sa douleur. Las des hommes et du vain bruit des destinées humaines, qui s’agitent et qui tombent en se froissant comme les feuilles d’automne, on pouvait, quand on le voulait, se trouver seul dans le monde avec Dieu. Loin de tous les regards, on ensevelissait son âme dans quelque pieuse solitude : entre vous et les choses d’ici-bas, la religion mettait une barrière aussi puissante qu’aurait pu le faire la mort ; et le voile qui cache les formidables mystères de l’éternité commençait à se lever pour vous. Alors personne ne songeait au suicide  : le désespoir, l’ennui, le re-