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APOLOGIE DE LA VIE SOLITAIRE ET CONTEMPLATIVE

« Saint Chrysostôme goûtait dans son désert les douceurs de la retraite, lorsque sa paix fut troublée par l’affligeante nouvelle d’un orage qui s’était élevé dans Antioche contre les saints solitaires, et qui pénétra son cœur d’une amère douleur. On disait que c’était le comble de la folie qu’un jeune homme qu’on avait élevé avec grand soin, pour être la consolation de ses parens et pour faire honneur à sa famille et à sa patrie, renonçât à la gloire, aux plaisirs et à toutes les prétentions qu’il pouvait avoir dans le monde, pour ensevelir ses belles qualités et ses talents dans un monastère ou dans une grotte, et y éteindre son esprit et la vigueur de son corps sous la discipline de quelque vieillard et en pratiquant des austérités excessives ; et qu’en conséquence les pères employaient les plus terribles menaces pour en détourner leurs enfants.

« Saint Jean Chrysostôme ne put d’abord ajouter foi à ces relations, tant la chose lui paraissait extraordinaire, surtout sous des empereurs chrétiens ; mais comme elles lui furent si bien attestées qu’il ne put plus les révoquer en doute, il en sentit toutes les suites, et surtout combien elles pouvaient nuire à la religion. Ses réflexions là-dessus le plongèrent dans une tristesse profonde. La vie lui devint à charge et il pria Dieu qu’il daignât le retirer de ce monde où l’injustice et l’iniquité se montraient avec tant d’audace. Le religieux, son ami, le voyant dans une si grande affliction, lui représenta qu’il était inutile de s’en laisser accabler et qu’il devait plutôt employer le talent d’écrire que le Seigneur lui avait donné, pour défendre la sainteté de l’état monastique, et désabuser le monde des préjugés qu’il avait conçus contre ceux qui en faisaient profession ; et il lui promit en même temps de faire courir partout des copies de son ouvrage, afin qu’il servît à ramener les esprits. »

C’est alors que saint Jean Chrysostôme écrivit son Apologie de la Vie Monastique, ce chef-d’œuvre d’éloquence et de logique, où il justifie et loue si magnifiquement la vie des Solitaires.

Vers le ixe siècle, un saint prêtre, du nom de Grimlaïc, composa la Règle des Solitaires, qui se trouve insérée dans le Code des Règles de saint Benoît d’Aniane. Au chapitre soixante-troisième de cette règle, nous lisons les lignes suivantes, qui prouvent qu’alors aussi il y avait des détracteurs de la vie solitaire :

« Non solitarii multum contristari debent, si fortè ab aliquibus pravis hominibus sine culpa detrahantur ; quia in consolatione nostra, sua Dominus opprobria adducere dignatus est, dicens : Si patrem familias Beelzebub vocaverunt, quanto magis domesticos ejus. Et iterum : Si de mundo fuissetis, mundus quod suum erat, diligeret : sed quia de mundo non estis, propterea odit vos mundus. Hinc Apostolus ait : Nolite mirari si odit vos mundus. Sunt autem plurimi, qui vitam solitariam fortasse amplius quam debent, laudant ; et ne eis de laude elatio subripiat, permittit omnipotens Deus malos in obtrectatione et objurgatione prorumpere ; ut si qua culpa ab ore laudantium in corde solitariorum nascitur, per obtrectationem malorum ad pænitentiam revocentur. »

« Les solitaires ne doivent pas s’attrister beaucoup s’il arrive que quelques méchants médisent d’eux sans qu’ils soient coupables, parce que notre Seigneur a daigné nous proposer pour notre consolation les injures qu’il a lui-même reçues : S’ils ont osé nommer Béelzébub le père même de famille, combien doivent-ils être plus hardis à traiter les domestiques de la même sorte. — Si vous aviez été du monde, le monde aimerait ce qui serait de lui ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, le monde vous hait. C’est pourquoi l’Apôtre nous dit : Ne vous étonnez pas si le monde vous hait. Il y a beaucoup de personnes qui louent la vie solitaire plus qu’elles ne doivent : de sorte qu’afin que la louange ne leur soit pas une occasion de s’élever et de se laisser surprendre par la vanité, Dieu permet que les méchants s’emportent à les blâmer et à les traiter d’une manière injurieuse, afin que si les louanges et les applaudissements des uns les font tomber dans quelque faute, les médisances et les mauvais traitements des autres leur donnent le moyen de les expier. »

Dans le xve siècle, la vie solitaire est embrassée par un grand nombre de fidèles ; mais elle est encore méconnue