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« devient héritier du Ciel ; il renonce à lui-même poursuivre Jésus-Christ ; et après avoir suivi pendant sa vie les traces de ce divin Maître, il participera à sa gloire après la mort. » (St-Basite-le-Grand, ex lib. de laude. eremi.)

« Ô solitude, que tu es aimable, et que tu es ardemment désirée par tous ceux qui te connaissent, et qui savent trouver en toi leurs délices ! C’est en toi que l’on voit si l’on est humble, et qu’on apprend à le devenir, si on ne l’est pas. Tu conserves le divin amour. Tu nous enseignes à nous connaître nous-mêmes. Tu es l’école de la science des Saints. Tu nous rends des témoignages fidèles de notre conscience. Tu es l’image de l’éternelle félicité. Tu es l’accusatrice perpétuelle des crimes. Tu nous découvres les vices les plus cachés. Tu nous fais aimer la vérité. Tu donnes de nouveaux secours et de nouvelles grâces à l’innocence. Tu nous fais connaître les secrets du ciel. Tu nous prépares à la contemplation. Tu es la source du gémissement intérieur. Tu nous fais monter dans le ciel.

« Solitude sainte, que tu mérites de magnifiques éloges ! Que les richesses que l’on possède en toi soient durables ! Qu’on les possède sûrement ! Que les occupations que l’on a en toi soient louables ! Que tu procures d’heureux succès ! Tu tiens les âmes dans un festin continuel, et dans une réjouissance toujours nouvelle et toujours égale ! Tu les élèves jusque dans le ciel ! C’est en toi que se répandent ordinairement les rayons de la sagesse divine. Solitude, tu reçois dans ton sein, comme une mère pleine de tendresse et d’amour, ceux qui sont assidus à l’oraison ; ceux qui goûtent les choses divines avec un sentiment exquis et purifié. Je n’ai point le bonheur d’être de ce nombre. J’ose cependant te demander avec instance que tu me reçoives, puisque je suis membre de l’Église, et quoique je sois une brebis égarée, un enfant prodigue. Reçois-moi, après que j’ai dissipé mon patrimoine, après que j’ai été dans une vie corrompue, après que j’ai souffert une extrême pauvreté ; reçois-moi, puisque je reconnais ma misère et que je reviens à toi. Solitude, ne permets pas que je m’occupe de pensées inutiles ; que je suive l’égarement des vices ; que je sois corrompu par de vains objets ; que je m’attache aux choses visibles avec une affection immodérée. Solitude, ne dédaigne pas mes cris ; n’aie pas horreur de mes souillures ; ne méprise pas ma nudité ; ne me rejette pas à cause de ma bassesse ; ne t’éloigne pas, ne te détourne pas de moi, comme d’un étranger et d’un ennemi ; car je t’ai toujours aimée, je t’ai toujours désirée, je t’ai toujours cherchée, je t’ai toujours possédée, et je t’ai toujours embrassée autant qu’il m’a été possible. Si je n’ai pas été constant, comme je devais l’être dans ma retraite et dans ma fuite du monde, tu ne dois pas pour cela me repousser, puisque je retourne à toi ; puisque je reconnais mon erreur, et que je veux me corriger. Reçois-moi donc, Jérusalem spirituelle, demeure de sûreté, de délices, de gloire et de paix. Je frappe à la porte ; je gémis et je pleure tous les jours, afin que l’on m’ouvre. Je sais que hors de toi, il n’y a que guerres, tempêtes, embûches, rapines ; qu’il n’y a que dragons furieux, lions rugissants ; que discordes, inimitiés, et toutes sortes de crimes. C’est de toi, solitude sainte, que le Prophète a dit, étant établi en toi : « j’ai marché dans l’innocence de mon cœur au milieu de ma maison ; je ne me suis rien proposé d’injuste ; je n’ai point eu de liaison avec ceux dont le cœur était dépravé. » (Ps. 100. St-Laurent Justinien.)

Et voilà pourquoi, ayant vu tous les dangers du monde, ayant compris tous les avantages de la solitude, et ne voulant aimer que Dieu et se sauver, voilà pourquoi tant d’âmes généreuses se sont séparées de la foule :

« Ayant considéré, (dit St-Basile-le-Grand) les dangers du monde, j’ai pris la résolution de me retirer sur ces saintes montagnes et de m’y envoler comme un passereau qui fuit et qui s’est échappé des pièges et des lacets des chasseurs. J’ai dessein de passer ainsi ma vie dans la retraite, à l’imitation de mon Sauveur, qui l’a sanctifiée par sa présence pour l’amour de moi. La solitude est le chêne de Mambré ; on y trouve l’Échelle mystérieuse de Jacob qui conduit au ciel ; c’est là que l’on voit ces armées célestes qui lui apparurent ; c’est dans le désert que le peuple de Dieu, purifié par les châtiments, mérita de recevoir la Loi ; et ce fut par là qu’il fut conduit à la terre de Promission et à la vision de Dieu. La solitude, c’est cette célèbre montagne du Carmel où Élie demeura longtemps et s’y rendit agréable à Dieu ; c’est la