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« saints, qu’on loue et honore les pécheurs, qu’on voit dominer l’ambition, que la vaine gloire est en vigueur ? où est-ce enfin, règnent tous les péchés et toutes les passions ? N’est-ce pas dans les villes ? N’y voit-on pas chacun désirer d’être plus puissant que tous les autres, de posséder plus de richesses, d’avoir une plus grande réputation populaire, et d’être estimé le plus sage et le plus habile ? C’est de cette cupidité et de ces passions pour les richesses et pour les honneurs que naissent tant de différents entre les hommes, tant d’inimitiés, tant de médisances et de calomnies. C’est cette cupidité qui fait rechercher avec tant d’ardeur la pompe, l’éclat, l’élévation : c’est qu’il n’y a, pour ainsi dire, personne dans le monde qui ne désire de se mettre au-dessus des autres. »

« Un égoïsme froid et dur règne dans les villes ; piastres et dollars, billets de banque et argent, hausse et baisse des fonds, c’est tout l’entretien : on se croirait à la Bourse ou au comptoir d’une grande boutique. » (Chateaubriand.)

« Il n’y a pas de milieu, nous dit l’abbé Martinet, il faut que les hommes choisissent entre le culte du Père qui est aux cieux et le culte de Mammon. »

« Le cœur que la foi, l’espérance et la charité ne font pas aspirer au ciel, place nécessairement sa foi, son espérance et son amour dans la matière, et par la puissance assimilatrice que l’objet aimé exerce sur celui qui aime, l’âme cupide devient matière. Ses pensées, ses désirs, ses craintes, ses espérances, ses antipathies, ses affections ont pour principe et terme la matière. L’avare est la propriété de la richesse bien plus qu’il n’en est le propriétaire.

« Par là il descend plus bas encore que le voluptueux. Celui-ci s’avilit sans mesure en prostituant une âme digne de Dieu seul à une créature de chair ; mais cette créature est le chef-d’œuvre de Dieu dans l’ordre matériel, et l’esprit qui l’habite et l’anime lui communique quelque chose de divin. L’avare, en adorant les métaux, la terre, la matière inorganique, arrive à la dernière limite de la dégradation ; c’est l’anéantissement de l’âme. Dans le libertin, elle se fait chair, elle s’animalise, s’identifie avec la sensation ; dans l’avare, elle se matérialise, se minéralise, perd toute sensibilité…. L’avare est sans remords. — Des milliers d’exemples attestent que le prêtre a reçu le pouvoir de dire à l’homme le plus animalisé : sois désormais un ange ! Mais convertir un avare, c’est-à-dire transformer une pierre en un enfant d’Abraham, (St-Math. 7, 14), est un prodige que Dieu se réserve.

« Rien de plus pervers que l’avare, nous dit l’Esprit-Saint ; de son vivant il a aliéné son âme, et jeté loin de lui ses entrailles. (Ecc. X. 9, 10.) Dans ses mains de fer, toujours ouvertes pour prendre, jamais pour donner, les biens se changent en maux. Il ne se sert de ce qu’il a que pour saisir ce qu’il n’a pas. Son or est un aimant dont la puissance, augmentant chaque jour, vide les bourses ; son champ dévore le champ de ses voisins. Comptant pour rien ce qu’il acquiert, il est tout entier à ce qu’il n’a pas acquis. Ses forces intellectuelles et matérielles, tendues constamment vers ce but, finissent par l’atteindre, et la conquête devient un nouveau moyen de conquérir. Sa vie froide et assujettie, comme tout le reste, au calcul, évite les excès qui en useraient les ressorts. À ses autres iniquités il joint la plus impardonnable de toutes, celle de vivre longtemps. » (A. Martinet, l’Emmanuel, p. 219 et suiv.)

Et tel est cependant le vice qui règne dans le monde ; c’est la cupidité qui entretient cette fiévreuse agitation de la foule, cette effrayante activité au profit de la matière.

« Le monde entoure de séductions et de pièges les êtres faibles et sans expérience qui osent se confier à sa trompeuse apparence et à ses promesses décevantes. Puis, par un inconcevable retour, qui devrait suffire pour ouvrir les yeux à ses victimes, et préserver d’un sort aussi funeste tous ceux qui n’ont pas encore succombé sous ses traits, quand l’infâme a triomphé des résistances de la vertu, quand l’innocence a cédé à son infernale fascination, il l’accable de ses mépris, il lui fait un crime d’avoir écouté ses conseils et d’être devenue aussi coupable qu’il l’est lui-même : Étrange disposition des choses humaines ! si vous fuyez le monde, il vous accuse d’être sauvage et ridicule ; si vous vous livrez à ses charmes, il vous méprise et attache sur votre front la note d’infamie qu’il traîne partout avec lui ; si vous êtes vertueux, votre vertu n’est réputée que cagotisme et hypocrisie ; si vous