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CHAPITRE DIXIÈME.

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DU MONDE, DE SON ESPRIT ET DE SES DANGERS.



Nous ne pouvons servir deux maîtres ; nous ne pouvons servir Dieu et le monde, Dieu et l’argent. Si nous étions du monde, le monde aimerait ce qui serait de lui ; mais parce que nous ne sommes pas du monde, le monde nous hait : devons-nous nous en étonner ? Le monde est l’ennemi de Jésus-Christ et de son Église, le monde est notre ennemi : comment donc pourrions-nous l’aimer et être pour lui ? Si nous sommes pour Dieu, nous serons contre lui, et il sera contre nous.

Mais laissons parler un homme du monde, quoiqu’il n’ait pas l’esprit du monde ; c’est le jeune et savant Bretonneau, l’auteur de la Religion triomphante par tous les grands hommes.

« Il y a des hommes qui pour s’étourdir, se jettent à corps perdu dans le monde, comme il y en a qui s’ensevelissent dans la solitude.

« Or, le bruit du monde ne vaut rien pour l’âme souffrante, et les plaisirs qu’il procure n’ont jamais endormi la douleur.

« Au lieu d’y trouver la paix, l’homme qui n’est pas heureux en sort plus tourmenté encore, parce que son âme y laisse toujours un peu de son énergie, en se répandant dans les sens, où elle se dissout et se noie. »

« L’épine seule reste de toutes les fleurs qu’on y cueille ; et le remords, qui blesse et fait saigner le cœur, vient souvent s’ajouter aux tortures morales auxquelles on voulait se soustraire. Car le monde, selon l’apôtre bien-aimé, c’est la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l’orgueil de la vie, en sorte qu’il ne saurait y avoir en lui que mensonge et déception.

« Il trompe, éblouit, enchante, et, loin de reposer, il agite.

« Il obscurcit l’esprit et gâte le cœur, en faisant oublier à ceux qui l’aiment, que sa figure passe avec tous ses charmes et toutes ses illusions.

« Il déprave le jugement et affaiblit la volonté, en n’estimant que les surfaces de la vie, en plaçant la prospérité au-dessus de la vertu, et n’attribuant de valeur à la vertu elle-même qu’autant que sa monnaie a cours parmi les jouissances qu’il poursuit.

« C’est là que la vérité cède le pas à l’esprit, et qu’il suffit d’une épigramme heureuse pour absoudre la langue qui jette son venin sur l’honneur de ses frères.

« C’est là que l’on réussit, non par ce qu’on est, mais par ce qu’on paraît ; là que l’éclat et le faste sont pris pour la grandeur ; là, que la vanité se pavane dans les frivolités de la toilette ; là, que l’habit honore et non point l’homme ; là, que la pauvreté est outragée par le ridicu-