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leur semble devoir être éternelle et inconsolable, ne nous regrettent et pleurent ni si longtemps, ni si amèrement que notre cœur candide et tendre nous le fait croire : nous exagérons beaucoup la tristesse que notre absence ou notre mort doit causer aux êtres qui nous sont le plus attachés : Il existe cependant, il faut le dire, de saintes et consolantes exceptions.

Un de nos amis, dans une effusion intime, nous disait un jour, avec une impressive tristesse et une touchante humilité : « je ne suis rien ;

 
………….. For I am as a weed
Flung from the rock on ocean’s foam, to sail
Where’er the surge may sweep, the tempest’s breath prevail !

(Byron.)

« Je ne suis rien qu’un grain de poussière perdu dans l’immensité de la création : — que je vive, que je meure, cela est indifférent : le monde ne sera ni plus heureux, ni moins malheureux. — Pourquoi donc n’irais-je pas dans la solitude ? »

Autrefois, lorsque l’on parlait aux anachorètes savants du bien qu’il ne faisaient pas, de l’utile emploi qu’ils pourraient faire de leur science et de leurs talents, du besoin que l’on avait d’eux dans le monde, — ils répondaient tranquillement : « Dieu, qui nous a conduits dans le désert, saura bien nous suppléer dans le monde : ayez confiance en lui, et laissez-nous dans notre solitude. »

Suivons donc notre vocation, sans nous arrêter aux objections des uns, au blâme des autres, et aux obstacles que nous rencontrons en nous-mêmes.

« Le monde, (nous dit Ste-Thérèse) est si plein de discrétion, qu’il trouve de l’excès et de la témérité dans tout ce qu’on veut entreprendre pour Dieu ; et l’on ne se souvient presque pas des faveurs extraordinaires qu’il a faites aux Saints et aux Saintes qui ont tout abandonné pour l’aller servir dans les déserts. »

« Il se rencontre dans la solitude, (dit la même sainte,) moins d’occasions d’offenser Dieu, quoiqu’il y en ait toujours quelques-unes, puisque les démons y sont et nous aussi : cette raison me paraîtrait encore plus forte pour nous faire désirer d’être séparés du commun des créatures, que celle du plaisir de recevoir de Dieu des consolations et des faveurs. »

Et nous, nous ajouterons que si l’action du démon semble plus violente et terrible dans la solitude, c’est parce qu’elle est moins divisée, plus directe ; car là, c’est un combat singulier. Dans les villes, au milieu du monde, nous avons à combattre le démon, nous-mêmes, et tous les autres ; nous sommes tentés intérieurement et extérieurement, par le cœur, par l’esprit, par tous les sens, et par tous les pores, en quelque sorte ; nous sentons moins la tentation parce que nous y cédons toujours un peu, à notre insu : — Il est donc certain que dans le désert nous avons moins d’ennemis et moins de tentations.

Qu’est-ce donc qui nous empêche aujourd’hui d’embrasser la vie érémitique ? — C’est notre attachement à l’opinion du monde, notre manque de confiance en Dieu, notre peu d’amour, notre égoïsme et notre lâcheté : — nous n’osons plus tout abandonner pour Dieu, — qui a tout promis cependant à celui qui se déposséderait de tout pour le posséder seul ! — Voyez l’oiseau du ciel, considérez le lys des champs ; l’oiseau n’amasse pas, le lys ne file pas ; et cependant le Père céleste nourrit l’un et vêt l’autre avec une admirable et touchante providence : — n’aura-t-il pas dans le désert le même soin de vous, ô homme, sa créature d’élite ? L’homme n’est-il pas plus que l’oiseau et le lys ; et Dieu, qui