Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Persuadez-vous bien que personne n’abesoin de vous. On trouvera toujours dans vous des magistrats, des ministres, des militaires, etc., les compétiteurs ne manquent pas. Dieu se chargera bien de pourvoir l’Église de Prêtres, sans votre secours ; les Religieux ont chacun leur état pour eux-mêmes ; votre présence ou votre absence n’y changera rien. Si vous mouriez maintenant, le monde irait son train comme de votre vivant. Il est un certain nombre d’hommes utiles, mais personne n’est nécessaire. Personne n’a donc besoin de vous, mais c’est vous qui avez besoin de connaître la volonté de Dieu et de l’accomplir. » (Fénélon.)

« Quiconque, ayant mis la main à la charrue, regarde derrière soi, n’est pas propre au royaume de Dieu. (St-Luc. ch. II, v. 62). La persévérance finale est attachée à la persévérance dans le chemin de la perfection, dans l’état religieux où Dieu nous appelle, dans la fidélité à notre vocation. La grâce est-elle donc à notre dépendance pour l’accorder aux circonstances qu’il nous plaira ? Dieu seul en est le maître, ainsi que lui seul en est l’auteur. S’il nous a marqué une voie pour arriver à la gloire avec son secours, pouvons-nous quitter cette voie sans craindre de nous égarer et de nous perdre pour jamais ?

« On S’IMAGINE qu’on pourrait faire beaucoup de bien dans le monde : illusion de l’amour-propre, qui nous présente comme le vrai chemin celui que nous voulons suivre, mais dont le terme est un précipice. Combien de chrétiens ont fait cette triste expérience, et en gémissent, à l’heure qu’il est, inutilement ! — D’ailleurs quelque bien que l’on semble faire, que devient-il, si on ne pratique pas celui que Dieu attend de chacun en particulier ? Le peu de bien que l’on fait dans l’ordre de la volonté divine est toujours quelque chose de considérable, et dont le Seigneur nous sait gré, au lieu que tout le bien qu’on fait par le mouvement de sa volonté propre n’est point capable de lui plaire. » (Le directeur dans les voies du salut, par le P. Pinamonti, pages 76, 77.)

Ceux qui s’imaginent être le plus nécessaires, sont ceux qui le sont le moins ; ceux qui s’imaginent qu’ils ne sont pas remplaçables, sont précisément ceux qui seraient le plus vite et le mieux remplacés : quelque utiles que nous paraissions, nous ne sommes pas nécessaires, nous ne sommes pas même importants.

Ainsi, ne magnifions pas trop, dans notre aveugle amour-propre ou notre grande simplicité, l’importance sociale que nous pouvons avoir comme parent, ami, orateur, écrivain, administrateur, homme d’état ou fac-totum bruyant : nous sommes bien peu de chose, un pur néant, dont l’absence ne laissera pas même un vide au regret ! Oui, qu’un homme éminent et célèbre meure ou s’absente, et aussitôt il est oublié et remplacé par un autre homme ; et tout va son train comme auparavant : — nul homme n’étant nécessaire, tous sont bientôt remplacés et oubliés.

On a beaucoup reproché à Chateaubriand, comme désolante et outrée, l’expression d’une des vérités les plus tristes, et qui devraient le plus contribuer à nous désenchanter des promesses du monde, des affections de la créature, et à nous conduire en foule dans le paradis de la solitude :

Voici cette vérité amère et navrante :

« Que dis-je ! Ô vanité des vanités ! Que parlé-je de la puissance des amitiés de la terre ! voulez-vous en connaître l’étendue ? Si un homme revenait à la lumière quelques années après sa mort, je doute qu’il fût revu avec joie par ceux-là même qui ont donné le plus de larmes à sa mémoire : tant on forme vite d’autres liaisons, tant on prend facilement d’autres habitudes, tant l’inconstance est naturelle à l’homme, tant notre vie est peu de chose, même dans le cœur de nos amis ! »

Ces paroles sont tristes, mais elles sont vraies : le monde est si froid, si égoïste, si avide de plaisirs, qu’il nous regrette bien peu et nous oublie bien vite ; les parents même, dont la dou-