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Si l’entrée au sacerdoce fermait la porte du désert et des monastères, ceux qui sont le plus dignes peut-être du sacerdoce n’accepteraient pas, à cette condition, ce caractère sacré : le sacerdoce n’est pas un obstacle à la vie religieuse.

La vie religieuse étant une vie plus parfaite, à cause du triple vœu de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, tout prêtre, si c’est son attrait, s’il croit par là mettre à l’abri son salut, s’il est mu par le Saint-Esprit, tout prêtre peut et doit abandonner le siècle et embrasser la vie religieuse ou érémitique.

En ce qui regarde la vocation, les évêques et les prêtres n’ignorent pas leurs droits et leurs devoirs respectifs et corrélatifs : tout prêtre a le droit de monter dans l’échelle de la perfection, de passer de la vie séculière à la vie religieuse ; et c’est un noble et heureux devoir pour tout évêque, animé de l’esprit de Dieu, de s’en réjouir et de favoriser, tout en l’éprouvant, ce mouvement de la grâce, ce glorieux passage, cette sainte ascension sacerdotale.

« Il ne semble pas inutile de citer ici ce que répondit Benoît XIV par la Bulle, Ex quo dilectus, au cardinal Quirinus, qui s’était plaint à ce grand pontife de ce que son archidiacre était entré en religion à son insu. Benoît XIV lui dit donc, 1o. qu’il doit lui répéter ce que Saint-Grégoire-le-Grand répondit à l’évêque de Vienne, lorsqu’il se plaignit que son diacre Pancrace avait quitté son église pour devenir religieux, savoir : qu’il serait mieux que l’évêque, au lieu de le trouver mauvais, exhortât son diacre à ne pas s’exposer de nouveau aux orages du siècle. (Grég. ep. 35 tom. II. liv. 12 ind. v.) 2o. Benoit XIV ajoute qu’il ne peut blâmer l’archidiacre de s’être retiré sans avertir le cardinal, parce que la crainte révérentielle et le danger d’être détourné de son dessein, l’en avaient empêché ; qu’un fait semblable avait été loué par Innocent VIII. 3o. Que d’après les lois, un curé, qui se sentait porté par le Saint-Esprit à devenir religieux, pouvait le faire malgré l’évêque par l’autorité apostolique ; que d’ailleurs Saint-Thomas dit (2. 2. qu. 18. art. 7.) qu’un curé n’est tenu par aucune loi à conserver toute sa vie charge d’âmes ; Saint-Antonin pense de même, (par. 3. tit. 16, cap. 2. § 2.) Sylvius est du même avis, (2, 2.qu. 189.) et il ajoute qu’il en est ainsi, soit qu’il s’agisse d’embrasser la vie purement contemplative ou la vie mixte, parce que le mérite des vœux l’emporte sur tout état séculier. 4o. Benoit XIV dit enfin qu’en de telles affaires, c’est une exception valable et suffisante, si le clerc ou le curé déclare qu’il veut embrasser l’état religieux pour mettre son salut en sûreté, ce qui l’emporte sur tous les services qu’il pourrait rendre aux autres, et cette exception a toute sa force, dès qu’il assure que tel est son vrai motif. » (De l’importance et de la manière de connaître sa vocation, note 1re. p. 65 et 66.)

Malheur, malheur à celui d’entre nous, qui, cédant à un autre esprit que celui de la charité, trouble, inquiète et décourage une âme portée à embrasser la vie ascétique ! — Et qui donc sommes-nous pour effrayer ainsi une âme touchée de l’esprit de Dieu, dégoûtée du monde, entraînée vers la solitude, et qui veut se mettre à l’abri des dangers du siècle ?

« C’est une chose très louable et méritoire, nous dit Saint-Thomas d’Aquin, que d’induire et de solliciter une personne à embrasser la vie religieuse, pourvu qu’on le fasse sans employer la violence, la séduction ou la simonie. » (Question CLXXXIX, art. IX.)

« Peu de temps après sa conversion, Saint-Bernard parlait en public et en particulier, pour gagner les âmes ; l’Esprit-Saint donnait à ses discours une telle efficacité qu’on ne pouvait lui résister. La chose alla si loin, que les mères cachaient leurs enfants, les femmes retenaient leurs maris, les amis détournaient leurs amis, de peur qu’il ne les portât à se faire moines. Comme dans l’Église primitive, ceux qu’il avait rassemblés n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ; ils demeuraient ensemble dans une maison qu’ils avaient à Chatillon. » (Rohrbacher, Hist. Univ. de l’Église, vol. 15, p. 91.)