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Saint-Thomas d’Aquin, dans sa somme de théologie, se pose cette question : la vie de ceux qui vivent en communauté est-elle plus excellente que la vie des Ermites, ou des Solitaires ? — Et voici quelle est sa réponse :

« La vie solitaire professée par quelqu’un, dans sa manière convenable, est plus excellente que la vie religieuse telle qu’elle s’exerce dans les communautés, selon Saint-Augustin. Car la vie solitaire, dans le cas allégué, ne convient qu’aux parfaits, et ne doit être professée que par ceux qui sont arrivés à la perfection de la vie religieuse, et qui par un long exercice de sainteté ne peuvent plus être effrayés par les pénibles assauts qu’il faut, selon Saint-Jérôme, souffrir dans les affreuses solitudes. — Et, comme la vie religieuse, qui s’exerce dans les communautés, est convenable non seulement à quelques parfaits, mais encore à tous ceux qui tendent à la perfection de la vie : la vie solitaire est plus excellente, sous ce regard, que n’est la vie religieuse des communautés, c’est-à-dire, de ceux qui vivent en commun.

« Si la vie solitaire est embrassée par quelqu’un, sans s’être exercé premièrement en la pratique des vertus, par un long espace de temps, et sans s’y être consommé, elle est très périlleuse, si Dieu, par sa grâce, ne supplée, en la personne du solitaire, à ce que les autres ont obtenu par un long exercice des vertus, comme il l’a fait en la personne de Saint-Antoine, de Saint-Benoît, et de beaucoup d’autres, que l’instinct du Saint-Esprit a poussés dans les solitudes et remplis, en même temps, de sagesse, de science, de vertus, et de toutes perfections spirituelles…

« Comme Jésus-Christ se trouve au milieu de ceux qui s’assemblent en son nom, il habite aussi dans le cœur du solitaire qui s’attache à la contemplation, pour l’amour de Dieu.

« Embrasser la solitude, pour s’adonner entièrement à l’amour, et à la contemplation des choses divines, c’est un effet qui surpasse la condition humaine, et c’est ce qui a fait dire au philosophe que le solitaire doit être un dieu, c’est-à-dire un homme divin. » (Question 88, Clef de St-Thomas, par Marandé.)

Il faut remarquer ici, que Saint-Thomas ne parle que d’une solitude entière et absolue, où l’on est privé de tout secours et de toute société humaine ; mais lorsque plusieurs sont ensemble, les mêmes dangers n’existent plus.

« Une solitude entière et constante est donc un état où peu d’hommes sont capables de vaquer, avec une ferveur non interrompue, aux exercices de la pénitence et de la contemplation. Un solitaire qui se relâche, ou qui ne converse pas toujours avec Dieu et ses anges, est à lui-même son plus dangereux ennemi. La solitude n’est donc point sans pièges et sans dangers. Mais quand on embrasse cet état par une vocation extraordinaire ; quand on s’y propose de vivre avec ferveur dans les pratiques de la pénitence ; quand on s’applique de jour en jour à purifier ses affections, on échange la société d’un monde corrompu contre celle de Dieu et des esprits célestes ; on substitue le glorieux emploi des anges aux folies du siècle ; on goûte le plus parfait bonheur qu’il soit possible de goûter sur la terre ; on jouit, par une espèce d’anticipation, des délices qui sont réservées dans le ciel aux bienheureux. » (Godescard.)

La vie solitaire et contemplative, c’est la vie religieuse dans sa plus haute et séraphique manifestation : mais comment faire comprendre cela à un protestant, à un homme du monde, et même à la plupart des fidèles ordinaires ?

Écoutons ce que dit une femme :

« Certes, je le comprends, voici une grande difficulté, — car la langue qu’il faut parler pour répondre est une langue absolument inconnue, ou du moins oubliée, sur cette terre chrétienne où naguère elle fut si bien comprise, mais où nul aujourd’hui n’en sait plus la signification.

« L’idée que l’amour de Dieu puisse devenir la seule passion du cœur, et qu’il puisse être aussi doux de vivre pour lui sans partage que de vivre pour la créature la plus aimée de ce monde, cette idée (qui devrait paraître simple) a cessé d’exister dans le christianisme protestant.

« L’idée que ce Dieu qui s’est fait homme et qui est mort pour nous, s’est aussi donné à nous dans un sacrement mystérieux et divin, et que pendant que tous y participent quelques-uns se vouent plus spécialement que les autres à véné-