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Ô âme de poète, est-ce au milieu de la foule profane et tumultueuse, ou dans la solitude tranquille et sacrée, que tu trouveras l’esprit divin, qui seul inspire des chants sublimes ?

Pars, pars, ô doux cygne ; sors vite de la cité, où la fange et la poussière souilleraient la blancheur de tes ailes ; vole loin de l’éclat et du bruit de ce monde ; vole au désert inaccessible, pour y chercher un lieu de repos et de sûreté, pour y parler seul à seul avec Dieu, et y vivre en frère avec l’ange familier ; pars, et laisse là toutes les vanités et toutes les créatures : Dieu seul est aimable, Dieu seul peut te satisfaire ; et c’est dans la solitude que tu le posséderas !

 
« Seigneur, dans le troupeau des robustes humains
Il est de beaux enfants, frêles et blanches mains,
Trop faibles pour lutter durant la vie entière,
Et se voir obéir par la lourde matière ;
Ils ne savent pas faire avec les socs tranchants
Jaillir les blonds épis des veines de vos champs,
Aider les nations à construire leurs tentes,
Tisser de pourpre et d’or les robes éclatantes,
Et charger les vaisseaux, sous un ciel reculé,
Des tapis d’Ecbatane et du fer de Thulé,
Est-ce donc, ô mon Dieu, que leur grâce inféconde
Est livrée en opprobre aux puissants de ce monde,
Et qu’à votre soleil chacun leur peut ôter
L’humble coin qu’il leur faut pour prier et chanter ?
Est-ce qu’au jour marqué pour la grande justice,
Afin qu’aux yeux de tous votre enfer accomplisse
L’anathème porté sur les rameaux oisifs,
Vous frapperez ces fronts amoureux et pensifs !

Préférez-vous au lac les grands flots des rivières,
Et la roche inflexible aux tremblantes bruyères ?
Les fleurs et les oiseaux vous sont-ils odieux ?
Mais le cèdre est chargé de nids mélodieux,
L’hysope entre ses pieds pousse une humble racine,
Et le Liban les berce en sa large poitrine ?
Les auriez-vous mêlés dans la création
Pour bannir les plus doux de votre affection ?
Oh ! vous aimez, Seigneur, la forme pure et belle,
Car c’est l’achèvement de l’idée éternelle,
La splendeur de l’esprit visible à l’œil mortel.
Chacun de son côté travaille pour l’autel ;
Si les forts ouvriers en sculptent les colonnes,
Les enfants les plus beaux tresseront des couronnes.
Ne faut-il pas des voix pour prier, pour chanter ?
Ce n’est pas être oisif que de vous écouter,
De recevoir de vous chaque soir l’huile sainte,
Lampe qui luit dans l’ombre et n’est jamais éteinte.

Oh ! quand les lourds marteaux se reposent, le soir,
Les hommes ont besoin de lyre et d’encensoir ;
C’est l’immense désir de toute créature
De chercher vos rayons épars dans la nature,
Et c’est une vertu de lire avec clarté
Un peu de votre nom écrit dans la beauté ;
D’avoir le front marqué de votre sceau de flamme,
Et, mêlant des parfums aux musiques de l’âme,
D’être l’urne de baume ou le luth frémissant
Qui parfume la terre et chante en se brisant !

(Les Parfums de la Madeleine, par Victor de Laprade.)


Quelques-uns de nos lecteurs regretteront peut-être que nous ayons cité l’autorité des poètes dans un ouvrage aussi sérieux ; ils penseront qu’il eût bien mieux valu pour notre livre de l’exclure entièrement ; nous ne partageons pas ce prosaïque préjugé des temps modernes ; nous croyons, au contraire, l’autorité des poètes très utile et d’un très grand poids. Dieu étant le premier et le plus grand Poète, la Création étant le poème de Dieu, le plus beau livre de poésie que possède l’homme, et Dieu ayant inspiré à des auteurs sacrés de parler cette langue harmonieuse, nous n’avons pas hésité à suivre l’exemple de ces auteurs, l’exemple de Saint-Grégoire de Nazianze, de Synésius, d’Apollinaire, de Saint-Rémi de Reims, de Saint-François d’Assise, de Sainte-Thérèse, de Saint-Jean de la Croix, et de tant d’autres Saints qu’il est inutile de nommer après ceux-là. Nous ne voulons pas être de ceux qui se laissent dominer et entraîner par l’esprit infécond du protestantisme, par l’esprit mercantile de notre siècle de fer et d’argent ; nous ne voulons pas céder, comme tant d’autres, à son goût exclusif pour le raisonnement sec et froid, pour la lettre qui tue, et le chiffre qui glace ; enfin, pour tout ce qu’il appelle, dans son orgueil idolâtrique,