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de tous les anachorètes. Il leur faut une sorte de solitude et de mystère, une vie à part, telle que celle des religieux qui ont des cellules séparées, et qui ne se réunissent qu’à des heures fixes, comme les Chartreux, les Camaldules et les Carmes ; ou mieux encore, comme les Solitaires de l’Orient, qui habitaient le même désert et qui vivaient sous la direction d’un Ancien, d’un chef commun ; ils ne s’assemblaient qu’à des jours déterminés, pour entendre la messe ou avoir des conférences ; et chacun se retirait ensuite dans sa cellule, plus ou moins écartée. Voilà ce qui a existé en Orient. — Et pourquoi n’y aurait-il pas aujourd’hui, comme autrefois, des Anachorètes, des Solitaires ? Pourquoi n’y en aurait-il pas en Amérique, comme en Afrique et en Europe ? Pourquoi une vie, qui était autrefois regardée, louée et embrassée par les Saints-Pères, comme la plus excellente et la plus angélique, serait-elle devenue aujourd’hui extravagante et impraticable ? Pourquoi, pourquoi, nous le demandons ? — Qu’on nous le dise, quelle contrée plus favorable à ce genre de vie que l’Amérique, cette immense et sauvage Thébaïde de l’occident ? Où trouverait-on plus de grottes et de cavernes profondes, plus de sommets inaccessibles, plus de sites pittoresques, plus de forêts et de savanes inhabitées ? Où trouverait-on une plus grande abondance de ressources naturelles ? — Ah ! si quelque chose manque, ce n’est pas du côté de la nature, mais du côté de l’homme ; ce n’est pas du côté de la grâce, mais du côté de la volonté ; ce n’est pas du côté de Dieu, mais du côté du chrétien, devenu lâche et sans amour, égoïste et incapable d’héroïques sacrifices !

Parmi les Carmes, les uns vivent plus retirés que les autres ; il en est même qui vivent dans une entière solitude : on les appelle reclus.

Dans tous les monastères, il se trouve souvent des âmes solitaires en faveur de qui l’équitable charité des Supérieurs fait fléchir la Règle, quelque rigoureuse qu’elle soit :

« Gerson, l’auteur supposé de l’Imitation de Jésus-Chri st, assure que les plus solides fondements d’un ordre religieux sont la prudence et la charité des Supérieurs, qui sont eux-mêmes la loi vivante et les interprètes des lois mortes et sans voix : De-là vient qu’un ordre religieux a beau être un dans ses lois et ses constitutions, il ne doit pas néanmoins être toujours le même dans la pratique et dans l’exécution… Que les Supérieurs observent donc exactement la portée de chacun de leurs Religieux, afin de modérer l’exécution de la règle générale, selon la complexion et le génie des particuliers qui composent la communauté… Les lois veulent être interprétées selon les règles d’une judicieuse équité. Les pasteurs doivent avoir un zèle plein de discrétion, et conduit par une sagesse équitable. » (Maximes de la vie spirituelle, p. 283. Dom Barthélemy des Martyrs.)

« Heureux l’Ordre religieux, dans lequel ceux qui ont reçu la grâce de la contemplation, ont la liberté de s’entretenir dans ce doux repos sans avoir l’embarras d’aucune affaire extérieure, et sans être assujettis aux règles et aux devoirs publics de la communauté ! Ce sont ces âmes favorisées de Dieu que les Supérieurs doivent ménager et chérir, comme des fleurs exquises, comme des Benjamin élevés à la sublimité des plus hautes pensées du ciel. » (Dom Barthélemy des Martyrs, Abrégé des Maximes etc, p. 281.)

Parmi les Ordres contemplatifs existants, un de ceux, il nous semble, qui répondrait le mieux, dans les États-Unis, à la vocation d’un certain nombre d’âmes ; qui réaliserait le plus parfaitement le besoin et le désir des natures d’élite qui nous ont le plus spécialement préoccupé dans la composition de cet ouvrage, c’est l’Ordre des Carmes, réformé par Sainte-Thérèse et Saint-