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« d’incubation, elles se manifestent cependant à certaines époques de la vie, et beaucoup plus tôt chez certains individus que chez d’autres. De ces dispositions innées, les unes, comme les penchants naturels, les passions violentes et certaines déterminations instinctives, peuvent être modifiées ou réprimées par une éducation bien dirigée, et surtout par la volonté ferme et bien prononcée d’asservir ces dispositions morales aux lois du jugement et de la saine raison. Les autres, comme l’aptitude naturelle aux sciences et aux arts, et ce goût prédominant, cette impulsion aveugle qui porte l’homme à cultiver de préférence plutôt telle partie que telle autre, ne peuvent pas de même être changées à volonté par les effets de l’éducation, ou par l’exercice et l’habitude. Et si on insiste à vouloir le faire, il en résulte presque toujours pour celui que l’on soumet à cette épreuve, une altération sensible de la santé, et quelquefois des opérations de l’entendement, sans aucune espèce d’avantage dans l’objet qu’on se propose.

« D’après cela, une des choses les plus essentielles auxquelles on doive s’attacher lorsqu’on veut étudier les sciences avec succès, sans s’exposer à ces efforts laborieux de l’esprit qui altèrent si profondément la santé, est donc de suivre l’impulsion naturelle qui conduit vers une partie quelconque ; de laisser prendre un libre essor à son génie, et de ne jamais le contraindre par un genre d’étude qui rebute, inspire du dégoût, dès la première jeunesse, et pour lequel on ne se sent nullement propre. De la stricte observation de ces différentes règles, dépend essentiellement le progrès que l’on peut faire dans les sciences ou dans les lettres. L’instinct naturel doit exclusivement guider l’homme dans le choix des travaux destinés à remplir le plus utilement tous les moments de la vie, et il doit préférer le langage de cette impulsion secrète, de ce penchant qui l’entraîne vers l’étude d’une partie, à des goûts équivoques et passagers qui s’effacent aussitôt qu’ils ont pris naissance, et à toute considération étrangère opposée aux appels particuliers de son aptitude naturelle.

« La fatigue, l’ennui, l’espèce de malaise qu’on éprouve lorsqu’on s’occupe d’une science quelconque, est une marque certaine, une preuve irrécusable qu’elle ne convient point à l’esprit, et que celui-ci n’y est nullement propre ; il faut alors l’abandonner : on persisterait vainement à s’y livrer, on n’y obtiendrait que peu ou point de succès, quelqu’assiduité qu’on y mît ; et quelque grands que fussent les efforts qu’on ferait pour y parvenir ; car il n’est nullement au pouvoir de l’homme de maîtriser, ni de changer entièrement les dispositions naturelles de son esprit : aussi est-ce l’état particulier des facultés de l’intelligence qui, en donnant à notre goût une direction juste et appropriée à l’état de nos dispositions, décide du choix que nous faisons des objets de notre étude et de nos méditations.

« Souvent l’erreur qui porte à cultiver une partie à laquelle on n’est pas propre, ne dépend que des pères ; et l’expérience a prouvé depuis longtemps, que la plupart d’entre eux se trompent presque toujours sur le genre d’instruction qui convient le mieux à l’esprit et au goût de leurs enfants. L’amour-propre, l’ambition, ou une prévention aveugle les égarent, et les empêchent ordinairement de découvrir le vrai caractère des dispositions innées de leurs enfants, et c’est en vain qu’ils tentent de les faire devenir ce que la nature ne permet pas qu’ils soient ; celle-ci, plus puissante qu’ils ne l’imaginent, triomphe toujours de leur erreur ou de leur obstination ridicule, en ramenant tôt ou tard ces enfants vers l’objet de leur aptitude, et en les dirigeant constamment vers la première impulsion qu’ils ont reçue d’elle.

Boerhaave dit avoir vu, pour ainsi dire, revivre des personnes qu’on avait forcées à s’adonner à des études qui leur déplaisaient, aussitôt qu’elles pouvaient les laisser pour en cultiver d’autres qui étaient de leur goût. Zimmermann remarque très judicieusement que rien ne fatigue autant le cerveau qu’un travail d’esprit fait avec dégoût ; il dit l’avoir éprouvé lui-même quand on voulut lui faire embrasser le barreau, et qu’une sueur froide lui coulait alors par tous les membres. Un homme qui éprouve de l’ennui en écrivant ou en composant malgré lui, ajoute-t-il, s’en acquitte assez bien d’abord ; mais son esprit ne tarde pas à sentir de la gêne ; la tête s’appesantit ensuite ; il bâille, se frotte le front, ronge ses ongles, et ne tire bientôt de son cerveau rien que de rebutant. Il est facile de sentir en effet que, lorsqu’on cultive une science qui déplaît à l’esprit, et pour laquelle on n’a ni goût ni aptitude, il faut redoubler d’efforts et d’attention pour en bien saisir les principes et les détails, et se les graver dans la mémoire ; qu’il faut enfin pour que ses travaux puissent devenir utiles et fructueux, les prolonger beaucoup plus