Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 90 )

Et s’il reste un obstacle entre le ciel et moi,
Oui, le dernier obstacle, Amérique, c’est toi !
Ah ! malheur à tous ceux qui t’insultent, ma mère !
Car mon amour, ému de toute sa colère,
D’un fils en sa vengeance imitant les excès,
Irait jusqu’à s’armer pour qu’ils soient expulsés !
Oui, l’instinct filial, oui, le patriotisme,
C’est un aveugle instinct, un jaloux fanatisme ;
C’est aimer et haïr avec notre Pays ;
C’est aimer ses amis, haïr ses ennemis !
Celui qui peut entendre injurier sa mère,
Et qui ne répond pas, dans sa sainte colère,
Et qui ne tire pas son glaive menaçant,
Et qui ne frappe pas… ce fils n’a pas de sang !  !


sixième barde.

Amérique, ô patrie, ô terre encor sauvage,
Si le malheur jamais, m’arrachant de ta plage,
Promène mon destin de péril en péril,
De merveille en merveille, oh ! toujours, dans l’exil.
Insensible aux splendeurs des régions lointaines,
Libre de tout serment, libre de toutes chaînes,
Mon cœur, restant fidèle, en ses regrets amers,
Se tournera toujours vers tes vastes déserts !
Sous aucun ciel riant, sur aucune autre terre,
Dans aucun des jardins inondés de lumière,
Nulle part, nulle part, pour y mieux prospérer,
Il ne pourra jamais dans l’exil demeurer !
Ah ! lorsque retentit soudain le cri de guerre,
Et qu’au bruit du canon s’agite sa bannière,
C’est l’heure où la patrie, au milieu des soldats,
Connaît ses vrais enfants et ses enfants ingrats !
C’est l’heure où la nature, en son élan sublime,
Montre l’enfant bâtard et l’enfant légitime ! —
Ô naturalisés de climats si divers,
Si vos frères, un jour, osaient franchir les mers,
Viendrez-vous pour combattre, au nom de la patrie,
Les soldats menaçants de l’Europe aguerrie ;
Ou bien, resterez-vous, indécis, inactifs,
Tandis que, sans repos, combattront les natifs ?
Prenez-garde ! la guerre est la pierre de touche ;
Le soldat se trahit en mordant la cartouche ;
Il est une heure sainte, où l’on voit si le fils
A pu changer de mère et changer de pays !
Ah ! craignez d’hésiter entre les deux armées,
Devant le choc fougueux des hordes enflammées ;
Et dans l’ardeur suprême, où se prouve l’amour,
D’avoir un double cœur pour un double tambour ;