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À ses concitoyens, l’accueillant d’un bravo,
Il livre avec fierté son pâle in-octavo !
Ainsi, chaque avorton de la littérature
Enfante pour l’Europe une caricature !
L’Europe a des journaux qui s’impriment ici ;
Par des scribes payés notre nom est noirci.
Depuis qu’en son humeur abandonnant l’Europe,
Nous vîmes parmi nous apparaître Trollope,
Combien de voyageurs, scribes aventuriers,
Sont venus sur ses pas moissonner des lauriers !
De leurs cœurs, dans l’exil atteints de nostalgie,
Mon cœur eut admiré la plaintive élégie ;
Mais le mal du pays s’est traduit dans leurs cœurs
En diatribe acerbe ou bouffonnes fureurs !
Oui, chaque matamore, en sa risible audace.
Nous parle sur un ton qui provoque et menace !
Éloigné du gendarme ou royal alguazil,
Pour se venger, hélas ! des ennuis de l’exil,
Et pour nous amuser par une facétie,
Chez nous, l’Européen vante la monarchie !
L’air de la République est pour lui trop subtil ;
L’esclavage natal vaut mieux qu’un libre exil ! —
Oh ! de l’Européen, verbeuse outrecuidance,
Niant, en plein midi, l’éclat de l’évidence !
Pour ton mal, l’ellébore est le seul élixir ;
C’est le médecin seul qui pourrait te guérir…
Je me trompe ! il te faut, en ta forfanterie,
Le saint joug d’un despote et la gendarmerie ;
Il te faut des prisons l’air impur et pesant :
L’air de la liberté t’enivre, en t’épuisant !
Pour prolonger ta vie et retremper ton âme,
Quitte donc un pays, où s’éteint toute flamme ;
Pour te régénérer, retraverse les mers ;
Va ! — Boston et New-York préparent des steamers !
Va ! — tu pourras encore, attendri jusqu’aux larmes
Dans l’excès de ta joie, embrasser les gendarmes !


cinquième barde.


Malgré le télégraphe, et malgré la vapeur,
Le cœur en ses amours reste toujours le cœur !
Sous la zone torride ou la zone polaire, —
Habitant du vallon, montagnard, insulaire,
Tout homme est attaché par de magiques nœuds
Au sol de sa naissance, au sol de ses aïeux !
Avec le ciel natal l’homme est en harmonie ;
Du lieu qui l’a vu naître il reçoit son génie ;
Plus cher que tous les lieux est l’humble coin natal ;
L’air de notre patrie est le seul air vital !