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En t’aimant comme un fils, de pouvoir te venger,
Des éloges glacés de l’injuste étranger ! —
Pour lui, le moindre atome est prodige, en Europe ;
Mais pour voir le prodige, il faut un microscope,
Si ce prodige éclate en notre beau pays : —
Rien n’a pu le ravir dans les États-Unis !
Un voile est sur ses yeux, la haine est dans son âme ;
Son cœur ne sent, ici, ni lumière, ni flamme ;
Nos merveilles, jamais il ne les admira ;
Il passe, indifférent près du Niagara !
Qu’importe à ce railleur que, dans le Nouveau-Monde,
S’élèvent des forêts que seul l’orage émonde ?
Son cœur est trop étroit, son œil trop obscurci,
Pour comprendre et pour voir tout ce qui brille ici ! —
Pauvre et triste étranger ! pauvre et triste malade !
Sois donc moins ridicule en ta fanfaronnade ;
Ouvre au moins une fois des yeux admirateurs ;
Et contemple, ébloui, nos plus pâles splendeurs !
Contemple nos grands lacs, nos fleuves, nos savanes,
Tous ces arbres géants, couronnés de lianes ;
Tout ce que la Nature étale, sous nos cieux,
Et de plus grandiose et de plus gracieux !…
 Ô mon frère étranger, dis-moi donc, je t’en prie,
La grande Nation, par ta haine flétrie,
Quelle est son origine, et quels sont nos aïeux ?
Ne retrouves-tu pas l’Europe sous nos cieux ?
Ne retrouves-tu pas la race Anglo-Celtique,
Et son double élément actif et poétique ? —
Saxons, Celtes, Germains, Espagnols, Irlandais,
Noble race latine, — Italiens, Français, —
Proscrits par le Pouvoir, ou lassés du Vieux-Monde,
Ne sont-ils pas venus, de leur sève féconde,
De leur multiple esprit, former ce Peuple ardent,
Que pour la République appelait l’Occident ?
Ne sont-ils pas venus, avec des cris de joie,
Saluant l’Amérique, où le soleil flamboie ;
Et sur son terrain vierge, avec la liberté,
Amasser les trésors de l’hospitalité ? —
Ô mon frère étranger, armé de l’ironie,
Qui n’as pu de ce Peuple admirer le génie ;
Toi, qu’un esprit de zèle a poussé jusqu’ici :
Pourquoi de ses vertus désespérer ainsi ?
La grâce, en devançant la marche des années,
Peut faire éclore ici mille fleurs spontanées !
L’Esprit-Saint, pour agir, n’attend pas le futur !
Pour la gloire héroïque un peuple est toujours mûr ! —
Toi, qui viens de l’Europe, où l’héroïsme abonde,
Que n’es-tu le héros offert au Nouveau-Monde ;
Le héros, dont le cœur embrasant notre cœur,
Du mystique Évangile allume ici l’ardeur ?