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Et nous pourrions trouver, parmi les pionniers,
Dans chaque lieu connu, l’empreinte de leurs pieds :
Ceux-là, dans leurs discours et leurs pages brûlantes,
Ont eu pour notre zone, aux merveilles brillantes,
Des paroles d’amour et d’admiration,
Comme en inspire au cœur la sainte émotion !

Lorsque Chateaubriand, banni de l’Armorique,
Vint abriter son front sous le ciel d’Amérique,
De la terre d’exil contemplant les splendeurs,
Il aima de nos bois les calmes profondeurs ;
Sous les dômes vibrant de sauvage harmonie,
Son âme, en s’exaltant, enflamma son génie !
Un seul regard tombé des yeux de Washington
Fut comme un feu sacré pour l’Homère breton !
Ce cœur passionné, qu’inspira la tristesse,
Après avoir pleuré sa patrie en détresse,
Ce cœur noble et pieux, de toute envie exempt,
Ce cœur chevaleresque, enthousiaste et grand,
Ce cœur fait pour comprendre et chanter la nature,
Il a du Nouveau Monde embrassé la ceinture,
Admiré l’étendue et la fécondité :
Et l’Europe, ravie après qu’il eût chanté,
Brûla de contempler les merveilles décrites ;
Lacordaire rêva les déserts sans limites ;
Et des peuples, vieillis sous le joug des Césars,
La jeune République attira les regards !…

Poursuis, poursuis ta course, ô jeune République,
Formidable géant, colosse pacifique !
Les tyrans d’outre-mer, en leur caducité,
Jettent en vain l’insulte à ta virilité ;
Ta gloire luit déjà de leur gloire obscurcie ;
Tu grandis menaçante autant que la Russie :
Et tu sauras toujours respecter tous les droits
Qu’aux peuples de l’Europe ont su ravir les rois !
Sois fière, ô République, et noble et magnanime,
Que la liberté sainte et t’inspire et t’anime !
D’une agressive envie objet universel,
S’il te fallait un jour accepter le cartel,
Dans ta jeune valeur, ceignant ta forte épée,
Du sang versé par toi germerait l’épopée ;
Et pour parer le front de tes rudes guerriers,
Tes altières forêts courberaient leurs lauriers !

Amérique, ô patrie ! Amérique, ô ma mère !
S’il est un de tes fils assez lâche et vulgaire,
Pour t’entendre offenser et pour te renier,
Seul, sans pleurs, sans regrets, qu’il meure tout entier !