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Tous ne pouvez plus rien pour les peuples souffrants :
Il faut pour les sauver d’héroïques enfants !…


l’amérique.


Viens, Reine d’Orient, mystique Solitude,
Qu’accompagnent partout la prière et l’étude ;
En ton austérité, viens bénir mes climats ;
Viens ! je sens tressaillir mon cœur à tes appas !
Au regard pénétrant de ton œil séraphique,
Je sens dans tout mon être une flamme héroïque !
Viens féconder en moi les germes de la foi,
Et faire ici fleurir les Conseils de la Loi !
Trop long temps, malgré moi, livrée à l’industrie,
J’ai vu par les marchands ma jeunesse flétrie ;
Au bruit de la vapeur usurpant mon repos,
Dans leur fuite aux déserts j’ai suivi les troupeaux ;
Pas à pas, j’ai compté les progrès de la foule,
Qui sans cesse avançant, sans cesse me refoule ;
J’ai vu pour leur pays combattre les Tribus,
Et les Blancs, apportant leurs poisons inconnus,
Subjuguer tour-à-tour les unes et les autres ;
Et malgré les efforts des plus ardents apôtres,
Ils ont de la science et de l’amour de Dieu
Empêché les bienfaits avec leur eau-de-feu ;
Ils ont, pareils aux chiens sur de sauvages traces,
Sans les civiliser, détruit ces pauvres races !…
 Viens, Reine d’Orient ; je tends vers toi les bras ;
Viens ! dans tous mes déserts je guiderai tes pas ;
Nous irons dans le temple, aux sonores arcades,
Où retentit la voix des vents et des cascades ;
Nous irons explorer les bois et les vallons,
Les savanes en fleurs, aux larges horizons ;
Et les bords escarpés des fertiles rivières,
Et les sommets neigeux, les mornes cyprières,
Tous les antres obscurs, les palais souterrains,
Les lieux infréquentés, les rocs les plus lointains ! —
Viens, Reine d’Orient ; — il reste des retraites,
Où tu pourras cacher tes saints anachorètes ;
Et dans l’ombre et le calme, et loin d’un peuple actif,
Aider, dans son essor, l’esprit contemplatif. —
Ah ! cette activité me trouble et me fatigue ;
Viens au torrent du monde opposer une digue :
Il est bon qu’à l’écart vivent d’ardents esprits ;
Des cœurs brûlants d’amour, quoiqu’ils soient incompris ;
J’ai des enfants dont l’âme, élevée et sereine,
Adopterait ton culte, austère et vierge Reine ;
Des enfants, que j’ai vus parcourant mes forêts,
Subir sans le savoir de célestes attraits ;
Je les ai vus s’asseoir, pensifs et solitaires,
Et de mon grand poème épeler les mystères !