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Nous verrons, parmi nous, au soleil de la grâce,
Renaître de l’amour la généreuse audace !
Nous verrons, par l’Esprit qui souffle ainsi qu’il veut,
Dans ces climats nouveaux tout ce que l’homme peut !
Nous verrons par l’amour tomber tous les obstacles,
Et le désert béni rayonner de miracles !
Lorsque tous vont au mal, agissant de concert,
L’homme, pour trouver Dieu, doit s’enfuir au désert ! —
Quand la société, par le mal et le doute,
Par les sociétés du démon est dissoute :
Heureux tout homme libre ! heureux qui peut s’enfuir !
Heureux l’enfant des bois, le héros Bas-de-Cuir !
Heureux Daniel Boon, au fond de sa retraite !
Heureuse l’ermitesse ! heureux l’anachorète !
Heureux qui jette un cri de sainte liberté,
Et pour sauver son âme a fui l’humanité ! —
Le sauvage désert, dans le siècle où nous sommes,
Est le seul paradis qui reste encore aux hommes !
Puisque la foule aveugle a pris Satan pour roi,
La solitude sainte est l’arche de la foi ;
La thébaïde inculte, ouvrant ses larges portes,
Doit recevoir du Christ les fidèles cohortes ! —
Ouvrez donc, ô déserts, vos temples ombragés ;
Abritez sous vos bois les grands cœurs affligés ;
Laissez venir à vous tous les esprits d’élite ;
Les cœurs contemplatifs où le silence habite ;
Tous ceux que Dieu créa pour prier en repos,
Loin du jour éclatant, loin du bruit et des flots ;
Ouvrez donc vos abris, ô forêts séculaires :
Bienheureux entre tous les hommes solitaires ! —
Aigle, cygne, colombe, — heureux, cent fois heureux,
Carmes, Bénédictins, Camaldules, Chartreux,
Vierges du Mont-Carmel, Ascètes et Recluses,
Anges vêtus d’un corps, frères et sœurs des Muses !
Oui, bienheureux les cœurs, qui, vivant retirés,
N’adorent que Dieu seul, en des lieux consacrés ;
Et qui, loin de l’orage et de la mer qui gronde,
Semblent déjà goûter la paix de l’autre monde !…