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Tendant au même but par des travaux divers,
Les ouvriers entr’eux partagent l’Univers :
Sur la terre, chacun poursuit sa destinée ;
Vers l’objet que Dieu veut notre âme est entraînée ;
Suivant l’attrait, d’accord avec la liberté,
Vers Marthe ou vers Marie il faut qu’on soit porté ;
La grâce au libre arbitre offre l’alternative ;
Notre vie est active ou bien contemplative ;
Marthe accuse Marie, en son repos béni ;
Le reproche de Marthe, avec douceur puni,
Sur Marie appela l’éloge du bon Maître ;
Oui, la part de Marie, il nous l’a fait connaître,
C’est la meilleure part ! — L’âme, unie à son Dieu,
Embrasse en son amour chaque homme et chaque lieu ;
Qui possède Dieu seul, possède toute chose ;
Il voit tous les effets dans la Suprême Cause !
Dans le séjour de l’ombre, anticipant le ciel,
L’âme, en son vol mystique, atteint l’universel ;
Et de l’ordre sacré contemplant l’harmonie,
Par l’essor de l’amour dépasse le génie !
 Mais l’héroïsme actif a sa sublimité ;
Un Ange suit les pas des Sœurs de Charité ;
Le vaste lazaret regarde la cellule ;
Thérèse est sœur de Claire, et Claire est sœur d’Ursule :
Mais plus heureux le cœur, qui, libre entièrement,
Dans l’amour de Dieu seul puise l’enivrement :
Les amours de la terre, au fond de leur ivresse,
Cachent les flots troublés d’une amère tristesse !
L’objet que l’on peut perdre en son premier transport,
La fragile beauté sur qui plane la mort,
Le terrestre bonheur qui n’a qu’une durée,
Après l’avoir goûté, l’âme est plus altérée !…
La vie est un exil ; toute joie est un deuil ;
Nos pieds, à chaque pas, heurtent le froid cercueil :
L’âme doit s’effrayer des bonheurs de la terre !
Heureuse, en ses douleurs, la Vierge Solitaire !
Dans ce monde inconstant, où rien n’est en repos,
Où les flots vers recueil sont poussés par les flots,
La vie est un exil pour les colombes saintes,
Un lieu de solitude où s’exhalent leurs plaintes !…
 Ô Marie angélique et sage en Jésus-Christ,
L’esprit qui parle en toi, c’est l’héroïque esprit ;
Pour goûter un amour sans trouble et sans mélange,
L’homme doit imiter la chasteté de l’Ange !
La chair est trop féconde en tribulations,
Et les regrets amers suivent les passions !
L’esclave de la chair est le plus vil esclave ;
Sa vie est le jouet d’une orageuse lave ! —
Bienheureuse la femme, en sa virginité :
Elle a par son amour conquis la royauté !