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Apôtres complaisants des faciles vertus,
Qui poussez lentement dans des chemins battus
L’innombrable troupeau des âmes routinières,
Avez-vous oublié la doctrine des Pères ? —
Vous qui devez briller ainsi que des soleils,
En répandant partout la splendeur des Conseils,
Avez-vous oublie de chanter les louanges
De ceux qui dans la chair vivaient comme des Anges ?
Lorsque leurs ennemis, armés de tous côtés,
Cherchant à niveler toutes les sommités,
Confondent tous les rangs, pour que tout s’égalise,
Ne défendrez-vous pas ces appuis de l’Église ;
Ceux qui de l’Évangile ayant sondé l’esprit,
Ont voulu tout quitter pour suivre Jésus-Christ !…
 Viens, mon frère, suis-moi ; prends ton vol de colombes ;
Sous le poids des douleurs mon âme en deuil succombe !
Les flambeaux sont éteints ! les guides fourvoyés !
Du Christ, pour nous conduire, où sont les envoyés ?
Comme un torrent fangeux, le siècle les entraîne !
La Croix cherche un appui dans la science humaine !
 Viens, mon frère, suis-moi ; fuyons dans le désert :
À qui veut se sauver, cet asile est ouvert ! —
Heureux l’anachorète ! — Il se recueille et pense ;
À l’écart, il reçoit de Dieu sa récompense ;
Sans se plaindre de Marthe et sans la condamner,
Il imite Marie et sait tout pardonner ;
Loin de la foule active, il dort dans la prière :
Ainsi dort l’alcyon en paix sur l’onde amère !
 Viens, mon frère, imitons Marie et l’alcyon ;
Laisse au monde agité ses hommes d’action !
Tandis que ce vain siècle, ébloui de lumière,
Semble par la vapeur lancé dans sa carrière ;
Tandis que trop d’éclat aveugle l’Univers :
Toi, tranquille à l’écart, séparé des pervers,
Hors des bonds déréglés du chaos qui s’agite ;
Toi, dans ton humble abri, souffre, attends et médite ;
De ton œuvre, au désert, jette les fondements :
Bien de grand n’eut jamais de grands commencements ;
À chaque œuvre préside un Ange tutélaire ;
Et plus l’œuvre est de Dieu, moins elle est populaire….
Au fruit de ta prière, à ton obscur enfant,
On prépare dans l’ombre un silence étouffant ;
Mais sois fort d’espérance et sans inquiétude ;
L’œuvre aura son destin, malgré la multitude ;
À la garde de l’œuvre un Ange est préposé ;
Le grain de sénevé de pleurs fut arrosé ;
C’est assez pour qu’un jour il devienne un grand arbre,
Plus propice aux oiseaux que les palais de marbre :
À l’ombre de cet arbre, ils viendront s’abriter
Ces riches, ces puissants, fatigués d’habiter