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Et bientôt, j’éprouvais une vague agonie ;
Dans la précocité de mon ardent génie,
Poète, j’admirais Milton, Moore et Byron ;
Mais ils ont assombri mon brillant horizon ;
De rêves agités ils ont peuplé ma route ;
Ils ont mis dans mon âme un germe de leur doute…
Lasse d’une existence où, flétri par le mal,
Chaque espoir de bonheur portait son fruit fatal,
Il me semblait parfois que j’étais attirée
Par l’invisible Esprit d’une sphère éthérée.
Dans un monde inconnu, qu’interdisait la foi,
J’aurais voulu planer palpitante d’effroi ;
Et dans le désespoir d’un funèbre délire,
Évoquer la Magie en son occulte empire !
Qu’ai-je fait ? sans terreur, profanant les tombeaux,
Des morts dans leur sommeil j’ai troublé le repos ;
Par l’espoir m’égarant sur l’aile du vertige,
J’ai suivi loin de Dieu l’éclat d’un faux prodige !
Oui, croyant m’élever, dans un mystique élan,
J’ai descendu, captive, ainsi que le milan
Qui tournoie ébloui par le reptile avide,
Dont l’œil fascinateur rayonne de fluide !
Oh ! que n’ai-je toujours, n’aimant que le Seigneur,
De son amour goûté le tranquille bonheur ?
Que n’ai-je rencontré, dès mon enfance, un guide ;
Un ami, selon Dieu, qui m’eût servi d’égide ? —
Mais, sans guide, et livrée à mon cœur orageux,
Je voyais devant moi le monde nuageux ;
Un voile s’abaissait sur toutes mes idées ;
Mes folles passions n’ont plus été bridées…
La chute, les regrets, l’amertume du mal,
Les remords ont terni mon éclat virginal ;
Et le noir désespoir, dans mon âme si vide,
Se dressa tout-à-coup comme un spectre livide !…
Que le Démon trompeur nous prodigue d’ennuis !
Que les jours qu’il nous donne ont de terribles nuits !
Que tes fruits sont amers, arbre de la science !
Et qu’il est doux d’aimer Dieu seul, dès son enfance l —
 Un jour, — j’avais alors, mon Père, dix-huit ans, —
Je priais : Dieu fixa mes destins inconstants ;
Une clarté céleste illumina mon âme ;
Je sentis de l’amour l’ardente et sainte flamme ;
Je vis briller en moi l’image d’Augustin :
Alors, tout mon passé, dès mon âge enfantin,
Tous mes péchés, écrits sur des pages funèbres,
Tout m’apparut soudain, éclairant mes ténèbres !
Et je sentis, au fond de mon cœur oppressé,
Se former et monter, l’un par l’autre poussé,
Chaque flot de douleur, chaque flot d’amertume !
Et je sentis ce feu, qui pénètre et consume ;