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N’es-tu pas, au milieu de rivales altières,
Ce qu’est le diamant parmi toutes les pierres ?
Humble enfin et cachée, humble en ta royauté,
N’es-tu pas au-dessus de l’Ange, ô chasteté ?
L’Ange est un pur esprit, libre de la matière ;
Mais l’homme a dans la chair son âme prisonnière.
L’Ange dans le triomphe au ciel est affermi ;
Mais l’homme ici combat contre un triple ennemi ;
Sans cesse il est tenté ; sans cesse par l’image
Son esprit abusé se voile d’un nuage ;
Par l’âme et par les corps, sans cesse il est tenté :
Et sans cesse il triomphe, en son humilité !…
Oh ! bienheureux celui qui prend Dieu pour partage,
Car son cœur a fait choix du plus saint héritage !
L’Évangile l’a dit : L’hymen n’est pas un mal ;
Mais l’hymen est moins sûr que l’état virginal !
Bénis tous ceux auxquels échoit le mariage ;
Mais plus heureux celui qui reçoit en partage
Ou le cloître ou l’autel, avec la liberté ;
L’hymen est moins heureux que la virginité ;
L’un touche à l’animal, l’autre ressemble à l’Ange ;
L’un, divisant son cœur, n’aime qu’avec mélange ;
L’autre, le possédant tout entier par l’esprit,
Sans voile, tout entier le donne à Jésus-Christ ! —
 Des droits de mon esprit en vain la chair jalouse
Voudrait ravir mon cœur à sa mystique épouse ;
L’instinct du vrai poète est de vivre à l’écart,
Et la part de Marie est la meilleure part ;
Le grand nombre toujours suit la loi du grand nombre ;
Tandis que Marthe agit, sa sœur contemple à l’ombre ;
L’une vit dans le trouble et dans le mouvement ;
L’autre, de sa cellule a fait un firmament.
 Des droits de mon esprit en vain la chair jalouse
Voudrait ravir mon cœur a sa mystique épouse. —
Oh ! bienheureux celui qui, seul et libre encor,
De la virginité garde le saint trésor ;
Et qui foulant aux pieds toutes fleurs de la terre,
Vers les cieux étoiles prend son vol solitaire :
Il tient le sceptre d’or auquel tout est soumis ;
Il a dans le désert les anges pour amis ;
Et la nature entière, à ses ordres docile,
Lui porte le tribut d’une moisson facile ;
Son ivresse est sans trouble et sa joie est sans fiel :
Et la terre pour lui semble déjà le ciel !
Brûlant d’un feu plus pur, il a plus de génie ;
Son âme, en ses élans, ouvre une aile infinie :
Et livrant à la chair de glorieux combats,
Ce qu’est l’Ange là haut, il l’est dès ici-bas ;
Il boit un miel divin dans un terrestre vase ;
Sans être dans le ciel, il en connaît l’extase :