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une voix mystérieuse.


 Après qu’il eût créé l’homme à sa ressemblance.
D’un corps et d’un esprit merveilleuse alliance,
Le voyant, au milieu du terrestre jardin,
Courir vers chaque objet, ou s’arrêter soudain,
Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme sur la terre
De l’immortalité jouisse solitaire ;
Que, seul en son bonheur, et roi du paradis,
Terre de voluptés que les vents attiédis
Font germer sans travail et fleurir à chaque heure, —
Il n’est pas bon que seul l’homme y règne et demeure ;
Doué d’un cœur aimant, il faut qu’il soit aimé
D’un cœur semblable au sien, et pour lui seul formé : —
Et Dieu créa la femme ; Eve, à la chevelure
Tombant jusqu’à ses pieds ; Eve blonde, et si pure,
Si parfaite en naissant, que son réveil soudain
Fit tressaillir chaque être, à l’ombre de l’Éden ;
Et que l’homme étonné contempla comme un rêve,
Ce chef-d’œuvre idéal où la forme s’achève !…
 Depuis l’Éden heureux, — et pourtant si fatal ! —
Chaque homme, au fond du cœur, trouve un type Idéal,
De la beauté sans tache, unie avec la grâce,
Empreinte lumineuse, ineffaçable trace !
Oui, chaque fils d’Adam, amoureux en naissant,
Porte au fond de lui-même un type ravissant,
Une figure d’Eve, une image de femme,
Astre dont les rayons illuminent son âme ! —
Oh ! quel adolescent, dans un ciel éclairé,
N’a pas vu se lever cet Idéal sacré,
Cet astre aux rayons d’or, cette éclatante étoile,
Que seul l’œil épuré peut contempler sans voile ?
Quel cœur, prêt à s’ouvrir aux saintes visions,
Ne fut pas ébloui de ses plus doux rayons ?
Quel cœur mystérieux, chaste et céleste vase,
Où. chaque nuit l’espoir descend avec l’extase,
Quel cœur n’a contemplé, dans l’extatique ardeur,
Ce type virginal, rayonnant de splendeur ?
Est-il, sur cette terre, un seul cœur poétique
Qui n’ait rêvé sa vierge invisible et mystique ;
Qui, le jour et la nuit par elle visité,
N’ait pressenti l’hymen, s’il ne l’a pas goûté ?


le poète.


Ah ! lorsque l’on nous jette, encor faible et sans tache,
Parmi ceux qu’il nous faut combattre sans relâche ;
Lorsque, le cœur rempli de ce rêve immortel,
Qu’un Ange familier nous apporta du ciel,