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Chacun s’arme et l’attaque, ainsi qu’un ennemi ;
Sur la terre, il n’a plus que Dieu seul pour ami !
Il n’a plus que Dieu seul, et Dieu seul récompense
Son courage héroïque et sa persévérance ! —

 Adieu donc, ô cités ; ô multitude, adieu ! —
Salut, ô solitude, où l’on vit avec Dieu ;
Où l’on goûte un bonheur sans terrestre mélange ;
Où l’Ange parle à l’homme, et l’homme parle à l’Ange !
Salut, désert béni, qu’a chanté Saint Eucher :
Plus notre âme s’élève et plus tu nous es cher !
C’est toi l’Arche d’abri ; c’est toi le port tranquille ;
Toi, le cloître éternel, l’indestructible asile ! —
Salut, sombres forêts ! — Folles cités, adieu !
Les biens qu’on abandonne, on les retrouve en Dieu !
Contre l’impur torrent, le fleuve qui déborde,
Dieu m’offrit un refuge, en sa miséricorde :
Quand Dieu fuit des cités, l’homme fuit dans les bois !…
À chaque homme, ici-bas, Dieu laisse un libre choix ;
La liberté pour l’homme est un droit de naissance,
Un don que Dieu lui fit avec l’intelligence :
Dans l’ordre du salut, dans l’ordre du bonheur,
L’homme a droit de briser tout obstacle oppresseur !
La poursuite du bien, c’est le droit de tout homme ;
Sur ce droit Dieu lui-même établit son royaume ;
C’est le droit de chacun ; selon l’attrait divin,
D’aspirer au bonheur, sans nuire à son prochain ;
Dans l’Église, chacun doit réclamer sa place ;
Et le libre vouloir, d’accord avec la grâce,
Suivant l’intime attrait de la vocation,
Porte l’un au repos, et l’autre à l’action.
S’il en est dont le cœur, armé contre l’orage,
Affronte les périls, sans craindre le naufrage,
Il en existe aussi, moins forts et plus prudents,
Qui vivent éloignés des abîmes grondants :
Si nous les condamnons, qui pourrait nous absoudre ?
Où serait le pouvoir qui détourne la foudre ? —
Laissons donc à chacun son libre et divin choix :
Aux crimes de la foule il faut un contrepoids !
Sans les calmes abris, où l’on prie en silence,
Où l’on verse en secret ses pleurs dans la balance,
Où la vertu sans cesse intercède à l’autel,
Et conjure le feu prêt à tomber du ciel ;
Sans l’innocent martyr, que le vœu déshérite,
Et qui pleure pour ceux contre qui Dieu s’irrite ;
Sans la prière enfin, sans le jeûne des Saints,
Dans leur mystique ardeur plaidant pour les humains ;
Sans vous, Carmes, Chartreux, Trappistes ascétiques,
Vierges du Mont-Carmel, recluses séraphiques,
Vous qui souffrez pour nous, vous qui priez sans bruit : —
L’équilibre du monde, hélas ! serait détruit !