Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 164 )

Et tombant des hauteurs du Dogme Catholique,
Érigea dans l’Enfer un Calvaire hérétique ! —
 Ô sainte Poésie, ô prêtresse du Beau,
En te voilant de deuil, pleure sur son tombeau !
Le génie apostat est digne de tes larmes ;
De sa chute le monde est ébranlé d’alarmes !
Ô génie hérétique, en ton infime élan,
Ton aile s’est noircie au foyer de Satan ;
Et tu fis dire encor : « Coupable Poésie,
Un adultère attrait t’incline à l’hérésie ! »
Ah ! que de grands esprits, au malheur condamnés,
Pour servir de leçons, en nos temps semblent nés !
Lorsque le froid Démon, qui discute et qui doute,
Est devenu l’ami que votre cœur écoute,
C’est qu’en l’esprit déjà l’orgueil est révolté,
C’est que l’âme a déjà perdu la chasteté !
Si quelque ardent génie a failli dans la lutte,
Si vous êtes témoins d’une angélique chute,
Vous trouverez au fond la luxure ou l’orgueil :
De tout les apostats c’est le fatal écueil !
Suivez l’astre éclipsé, l’effrayant météore,
Dont le dernier rayon vous éblouit encore,
Vous le verrez tomber de la voûte d’azur,
Découronné de gloire, au fond d’un gouffre impur !
L’enfant de Saint-Malo, décevant notre attente,
Effraya l’Armorique, en sa chute éclatante !
Ceux, dont le vol jamais n’atteint au firmament,
Chaque jour, impunis, tombent obscurément ;
Et leur chute fréquente, et leur faute éphémère,
Ne jette aucun éclat dont s’étonne la terre !
Et ceux-là, rassurés dans leur obscurité,
Jugent l’astre en sa chute avec sévérité !
Ah ! Dieu vous jugera, condamnateurs vulgaires ;
Il portera l’éclat dans vos sombres repaires,
Esprits vils et rampants, ô nocturnes hiboux :
La chute du génie est un secret pour vous !
L’orgueil de la bassesse enfante plus de crimes
Que l’orgueil engendré par des talents sublimes ;
Oui, les fils d’Asmodée et ceux de Bélial,
Immondes déserteurs de tout culte idéal,
À l’angélique amour fermant leur âme éteinte,
Aux appétits grossiers se livrent sans contrainte !
Que l’homme soit séduit, en ses rêves fiévreux,
Par l’espoir enivrant d’être semblable aux dieux,
Hélas ! on le conçoit ; mais au rang de la brute
On ne peut concevoir qu’il aspire en sa chute !
Oh ! que de grands esprits en nos temps ont brillé
D’un satanique éclat, dans un ciel foudroyé !
Mais, après chaque chute et sur chaque désastre,
Le ciel rasséréné salue un nouvel astre :