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L’homme s’étant soustrait aux rigueurs de la Croix,
La nature sur l’homme a repris tous ses droits ! —
Les moines, de leur Règle et des Conseils du Maître
Abandonnant l’esprit aussi bien que la lettre, —
De l’antique ferveur ont tous dégénéré,
Et par l’esprit mondain perdu l’esprit sacré !
S’éloignant par degrés de la vie Ascétique,
Ils ont perdu l’esprit de l’Ordre Érémitique ;
Ils ont perdu, — cédant aux flots du mouvement, —
L’esprit de solitude et de recueillement !
Le désert ne voit plus de cèdres monastiques ;
Il ne voit plus planer les grands aigles mystiques,
L’harmonieux essaim des célestes oiseaux :
Les moines aujourd’hui, ne sont que des moineaux !
Toujours en désaccord avec la Règle Sainte,
De leur cellule étroite ils ont franchi l’enceinte ;
Et perdant la ferveur de la sérénité,
Ils s’enivrent du bruit de leur zèle agité !
Leurs yeux, toujours baissés, ne peuvent voir les astres ;
Dans leur sainte avarice, ils sont pêcheurs de piastres ;
Et de leurs toisons d’or dépouillant les brebis,
Mercenaires pasteurs, ils se sont enrichis !
Dans l’Église éplorée, aujourd’hui, qu’ils sont rares
Les apôtres zélés qui ne sont pas avares !
Ils ne sont plus les fils du pauvre Saint François,
Marchant pieds-nus, sans bourse, humbles comme autrefois !
Les fils dégénérés du vaillant Saint-Ignace,
Pour un lourd coffre-fort, ont jeté la besace !
De toute œuvre, aujourd’hui, l’or est le fondement ;
C’est le pôle attractif, l’universel aimant ! —
« À la lettre à la lettre, oui, sans glose, sans glose »,
A dit l’humble François ; mais la cellule est close,
Et l’importune voix du Maître crie en vain,
Pour ramener ses fils dans l’antique chemin !
Qui se souvient encor d’Alverne et de Manrèse ?
Qui se souvient, hélas, de Claire et de Thérèse ?
La dévote a changé le cilice de crin
En large crinoline et robe de satin !

 Mon maître et roi puissant, en ces jours, sur la terre,
Toi-même tu l’as dit : — Je n’ai plus rien à faire !
Plus de cœurs à combattre, en leurs pieux concerts ;
Plus d’ascètes priant au" fond de mes déserts :
J’ai déjà parcouru la sauvage Amérique ;
Oui, je l’ai parcourue, en mon vol électrique,
De l’Orégon neigeux jusqu’à ces climats d’or,
Ces zones de lumière, où plane le condor :
Partout, j’ai rencontré l’homme actif et cupide,
Poursuivant la fortune avec une âme avide ;
Partout l’homme charnel, poursuivant le plaisir,
Dans son travail fiévreux, sans trêve et sans loisir ;